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Basta !
Dans des vergers provençaux et andalous, ouvriers saisonniers maltraités et suspicion de travail forcé
Article mis en ligne le 3 mars 2021

Censé certifier de bonnes pratiques agricoles, le label Global G.A.P. cautionne des exploitations agricoles mises en cause pour conditions d’hébergement indignes, non-paiement du salaire minimum, retenues frauduleuses sur salaire... Deuxième épisode de notre enquête sur ce label.

Cinq toilettes dans un état d’extrême saleté, pas assez de sanitaires pour tout le monde, eaux usées coulant sous les bungalows… Au printemps et à l’été 2020, les conditions de logement des travailleurs de l’EARL Racamier, située dans la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône), ont fait l’objet d’une surveillance accrue dans le contexte de crise sanitaire et de la découverte de foyers d’infection de Covid-19. Des inspecteurs du travail se sont rendus sur les lieux, visitant les hébergements dans lesquels logeaient les travailleurs de cette exploitation qui produit 9000 tonnes de pêches et 1200 tonnes d’abricots par an. Les conditions de logement y étaient telles que la préfecture a ordonné la fermeture de quatre de ces bungalows le 10 juin 2020 [1]. (...)

Une travailleuse paraguayenne nous a dit, quand nous l’avons rencontrée en août dernier, être repartie le jour même de son arrivée : « Mon matelas était plein d’urine, de tâches de sang et de matières fécales. J’ai dû le désinfecter et mettre trois draps pour pouvoir dormir dessus. » Patrick Racamier, le propriétaire des lieux, n’a pas voulu nous donner le nombre exact de travailleuses et travailleurs qu’il embauche chaque année. Selon nos estimations, ils et elles seraient entre 300 et 400, originaires d’Amérique latine et du Maroc, à assurer la récolte chaque été. (...)

Malgré ces faits, l’EARL Racamier a été certifiée par le label agro-alimentaire Global G.A.P. – pourtant censé garantir, entre autres, des conditions de travail dignes (voir le premier épisode de notre enquête) – et ne manque pas de le mentionner sur son site internet. Ses pêches, nectarines et abricots continuent d’être vendues en France et en Europe. Comment des entreprises avec de telles conditions d’hébergement pour ses employés saisonniers peuvent-elles continuer à recevoir des certifications d’un label international censé assurer de « bonnes pratiques agricoles » ?

Sollicitée par Basta !, Global G.A.P. ne nous a pas répondu sur les différentes situations des exploitations agricoles exposées. L’entreprise nous renvoie à leur réglementation interne dans laquelle il est indiqué que « la suspension [de la certification, ndlr] avec effet immédiat intervient lorsqu’il existe un risque grave pour la sécurité des travailleurs, l’environnement, les consommateurs et/ou l’intégrité du produit. » [2].
« Aucune obligation en termes de salaire décent »

Des producteurs sont certifiés par ce label alors même qu’ils sont mis en cause pour des faits de conditions de logement indignes, de violations du droit du travail, des congés payés, et retenues frauduleuses sur salaires. Dans l’exploitation espagnole Frutas El Curi, de Cartaya, en Andalousie, des travailleuses nous ont témoigné de conditions de logement indignes. L’exploitation a fait l’objet de contrôles de l’État espagnol pour des suspicions de conditions proches du travail forcé. Il ne s’agit pas de cas isolés, selon Sandra Dusch, de la Christlichen Initiative Romero (CIR, Initiative Chrétienne Romero). Cette organisation allemande porte, avec d’autres ONG, le projet d’une loi pour rendre juridiquement responsables les entreprises allemandes si des violations des droits humains ont lieu dans des chaînes de production ou d’approvisionnement. Cette loi serait similaire à la loi française sur le devoir de vigilance adoptée en 2017. (...)

« Les labels sont en grande partie déclaratifs, il n’y a pas vraiment de contrôle »

Ces dernières années, l’organisation a enquêté sur les certificats accordés à des denrées alimentaires et à des produits issus de l’industrie textile. Ces processus de certification doivent, en théorie, améliorer les conditions de travail. Dans leur classement, Global G.A.P fait partie des mauvais élèves. Les critères sociaux et écologiques y seraient complètement insuffisants, statue l’ONG. (...)

La politiste Béatrice Mesini, chercheuse au CNRS, abonde dans le même sens : « Les labels sont en grande partie déclaratifs, il n’y a pas vraiment de contrôle et donc les certificateurs vont dire "on fait confiance". Il y a une grande dichotomie entre d’un côté, très peu de critères sociaux mais de l’autre, beaucoup d’autres critères pour garantir la ‘’qualité du produit’’. »

En réponse à nos demandes, la branche française du groupe allemand de grande distribution Metro a assuré l’existence d’une « politique d’achats responsables » au sein de l’entreprise, fondée, entre autres, sur le recours à plusieurs certifications, parmi lesquels figurent Global G.A.P et GRASP (pour Risk Assessment Social Practice, la partie du label concernant les « pratiques sociales »). « Si les pratiques d’achat responsables s’avèrent ne pas avoir été respectées, Metro envisagera de cesser toutes relations avec les entreprises concernées », nous a seulement indiqué Isabelle Baahmed, responsable des relations presse, tout en refusant de communiquer le nom des trois producteurs certifiés avec lesquels le groupe collabore.

« Le système fonctionne en fait en vase clos », résume Sandra Dusch. Basta ! s’est procuré le document qui détaille les critères d’évaluation permettant l’attribution du module GRASP. La question de l’existence de procédures pénales en cours contre les producteurs n’y figure pas, ni des critères sur les conditions d’hébergement des travailleurs ou sur l’hygiène des logements. De plus, il est indiqué que « l’organisme de certification peut signaler les cas graves de fraude ou de violation des exigences légales/crimes aux autorités locales/nationales compétentes. » Sans pour autant que ce soit une obligation. (...)

La chaîne de supermarchés allemande Aldi a reconnu avoir acheté des produits à Frutas El Curi, mise à l’index pour ses hébergements indignes. « Nous prenons très au sérieux les infractions pénales dont vous nous faites part. De ce fait, nous avons informé notre interlocuteur de Global de ces accusations », nous a répondu un porte-parole d’Aldi. Lorsqu’en janvier 2021, nous vérifions à nouveau la certification de Frutas El Curi dans la base de données du label, il est alors mentionné à côté du nom de l’entreprise : « self-declared suspension » (autodéclaration de suspension). Suite à nos sollicitations sur cette affaire, Global G.A.P. ne nous a donné aucun détail supplémentaire.
Procès en cours contre plusieurs exploitations certifiées

Plusieurs entreprises françaises certifiées par le label font également l’objet de procès aux prud’hommes pour de graves violations du droit du travail. (...)

Presque trois ans après les premières accusations, le label a définitivement bloqué les produits du GAEC Durance Alpilles. De son côté, Lidl France, qui compte la société Coccolo parmi ses fournisseurs, dit « ne pas avoir connaissance de condamnations de producteurs certifiés Global G.A.P. parmi nos fournisseurs ». En septembre dernier, après trois ans de procédures, le conseil de prud’hommes d’Arles a finalement condamné quatre entreprises, dont Coccolo, pour non-paiement du salaire minimum et des congés payés et retenues frauduleuses sur salaires (...)

Cesser les relations commerciales « ne mène à aucune amélioration des conditions sur place » (...) La stratégie du boycott pourrait bien avoir un impact fort mais seulement s’il était appelé par les travailleuses et travailleurs mêmes. La plupart du temps, ce n’est pas vraiment dans leur intérêt. « En temps normal, ils dépendent de ce travail et demandent juste des conditions décentes et dignes, explique Sandra Dusch. « Et c’est en ça que la stratégie du défilement est exclusivement pensée à partir de la perspective des consommateurs. Le plus important est d’acheter aux "bons producteurs". » (...)