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De Marioupol à Zaporijia : Itinéraire d’un français mercenaire chez Wagner
#guerreenukraine #Wagner
Article mis en ligne le 15 janvier 2023
dernière modification le 14 janvier 2023

Pour la première fois depuis l’invasion russe du 24 février, Blast raconte le quotidien d’un jeune français parti se battre en Ukraine dans les rangs de la milice privée Wagner. Sergei Munier, vétéran du Donbass et ancien réserviste de l’armée française, accro aux réseaux sociaux, témoigne à son insu de sa présence sur place, de son quotidien et de sa participation aux combats.

Deux hommes en uniforme militaire avancent tant bien que mal dans une rue jonchée de débris. D’un pas pressé, ils avancent dans les ruines de Marioupol alors qu’au loin retentissent les canons qui frappent encore cette ville martyre d’Ukraine. La scène est filmée par la caméra embarquée d’un troisième homme dont on ne distingue que la lunette du fusil qu’il tient. Cette vidéo, publiée sur Facebook, montre des bâtiments qui, à eux seuls, témoignent de la violence des combats qui ont secoué les rues. Les maisons qui restent encore debout sont jonchées d’impact de balles sur les murs, quand d’autres sont littéralement calcinées ou réduites à l’état de décombres par les bombardements.

Au bout d’une centaine de mètres parcourus à pied, le groupe passe à côté de trois cadavres de civils qui gisent dans la boue. Si les deux hommes à l’avant n’y prêtent même pas attention, le troisième, celui qui filme, n’hésite pas à les cadrer avec sa caméra. Il n’est pas question que le spectateur en perde une miette. La vidéo s’arrête quand on voit les trois hommes se diriger vers un véhicule blindé stationné au bout d’une rue sur lequel la lettre “Z”, a été peinte en blanc. (...)

Cette vidéo de trois minutes a été publiée avec une légende : “Voyagez avec notre agence et découvrez l’atmosphère de villes en bord de mer telles que Marioupol”. Son auteur, Sergei Munier, n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler un homme discret. Le Français, déjà vétéran du Donbass lors de l’invasion russe de 2014, est bien connu des observateurs. Depuis six mois, il documente largement son retour en Ukraine, son quotidien sur place et sa participation aux combats. Mais cette fois, il s’affiche sous une autre bannière que celle des militants séparatistes du Donbass : celle de la firme de mercenaires Wagner.

Le trentenaire ne fait pas de son appartenance à Wagner un secret. Au contraire, il va à l’encontre de toutes les consignes de sécurité et de discrétion imposées aux membres de la firme de mercenaires avec ses publications laissées en libre-accès sur ses réseaux sociaux. Une sale habitude qui fait quand même, selon les informations récoltées par Blast, le miel des services de renseignement français mais aussi de l’OCLCH, le service de gendarmerie qui est chargé d’enquêter sur les crimes de guerre commis en Ukraine. Pour ne pas trahir le secret des enquêtes en cours, une source se contente d’affirmer à Blast qu’« on adore les anciens du Donbass en ce moment ». Sergei Munier, discret comme un éléphant dans un couloir, ne doit vraisemblablement pas avoir échappé à la vigilance des limiers français.

Patches, flingues et humour noir (...)

Puis, il y a les localisations de Sergei Munier. L’homme s’identifie lui-même dans différentes villes connues pour avoir vu s’affronter les mercenaires de Wagner et les forces armées ukrainiennes Marioupol, Donetsk, Zaporijia ou encore Adviivka. Blast est en mesure de confirmer sa présence dans au moins deux de ces lieux.

Le premier endroit où l’on peut formellement identifier la présence de Sergei Munier est la ville martyre de Marioupol. Dans une vidéo, le Français se montre à bord d’un camion en compagnie de ses frères d’armes. En toile de fond, on distingue des immeubles éventrés par les bombes et quelques civils qui regardent passer le convoi, désabusés. Une analyse en source ouverte de la séquence permet de démontrer qu’elle a bien été tournée dans la rue Tahanroz’ka, en périphérie de Marioupol. Cette ville, qui comptait presque 500 000 habitants avant la guerre, a été presque intégralement rayée de la carte par les combats et l’artillerie russe. (...)

Une autre vidéo qu’il juge bon de publier fin octobre le montre à bord d’un « BMP-3 », un véhicule blindé de transport de troupes, que Sergei affirme « volé ». Blast a pu formellement identifier cette vidéo comme ayant été tournée à Iassynouvata, une petite ville située entre Donetsk et Bakhmut, un des principaux front entre l’armée ukrainienne et les forces de Wagner. (...)

Quand un de ses amis Facebook lui demande si les anciens occupants du véhicule ont déposé « plainte pour vol », Sergei rétorque sans détour que « l’ancien équipage est mort ». Le Français est habitué à donner des détails sinistres. Dans une publication éphémère, il s’affiche vêtu d’un uniforme ukrainien qu’il présente à un de ses contacts comme un « trophée ».

Mais Sergei Munier ne publie pas que des vidéos de lui en train de marcher ou de se faire trimballer d’un endroit à un autre. Grâce à sa caméra embarquée, il n’hésite pas non plus à documenter sa participation active aux combats. (...)

La marque la preuve la plus intéressante de son obédience à Wagner est un selfie qui date de fin octobre pris à l’arrière d’un camion. Le Français se montre en compagnie d’un homme qu’il appelle “Casper”, que plusieurs observateurs reconnaissent comme étant l’administrateur du sinistrement connu canal Telegram de Wagner « Reverse Side of the Medal ». Un canal sur lequel ont déjà été publiés de nombreuses vidéos montrant les exactions et les crimes de guerre de la firme. Contacté, Sergei Munier réfute cette identification. (...)

L’impunité affichée par le Français fait fulminer un observateur attentif du conflit en Ukraine qui affirme à Blast avoir “prévenu un service de renseignement français qui dépend du ministère des Armées sur le cas Munier avant même le début de la guerre en Ukraine”. Une alerte qui n’a pas été suivie d’effets, Sergei Munier ayant pu rejoindre tranquillement l’Ukraine après le 24 février, date de l’invasion russe.
Lourd passif

Pourtant, Sergei Munier a déjà un lourd passif qui aurait dû pousser à la vigilance. (...)

Avec plusieurs autres engagés au Donbass, dont Victor Lenta et Michael Takahashi, il assure le service d’ordre dans une manifestation des Gilets jaunes et en profite pour déployer dans les rues de Paris un drapeau de la république autoproclamée de Donetsk. (...)

Contacté pour lui proposer une interview, Sergei Munier a éconduit Blast en demandant « qu’est-ce que je gagne dans cette histoire ? ». Face au refus de Blast de le rémunérer, Sergei Munier confie sa déception en expliquant qu’il veut “répondre à des questions” mais qu’il “ne le fera pas gratuitement”. Sur son obédience à Wagner, il répond seulement “je vous laisse chercher”.

Pourtant, l’homme semble être un habitué des interviews. Une des dernières qu’il a donné était pour le site « Observateur Continental » dans laquelle il affirme que « la loi en France est assez compliquée pour définir le mercenaire ».

« Observateur Continental » est loin d’être un site web d’actualité comme les autres. Il fait en réalité partie d’une opération d’influence russe nommée « Inforos » qui est pilotée depuis la Russie. (...)

Par capillarité, il n’est pas difficile de retrouver d’autres Français. Certains présents, eux aussi, en Ukraine comme François Mauld d’Aymee. Cet ancien entrepreneur anciennement basé au Royaume-Uni est présent dans le Donbass depuis des années. Le trentenaire, un brin excentrique, aime lui aussi se mettre en avant sur ses réseaux sociaux et affirme, photos à l’appui, avoir participé, comme Sergei Munier, à la bataille de Marioupol. (...)