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De Notre-Dame-des-Landes à Sivens : quand la compensation écologique institue un droit à détruire
Article mis en ligne le 2 décembre 2014
dernière modification le 27 novembre 2014

Depuis la mort de Rémi Fraisse, le 26 octobre dernier, la construction du barrage du Testet est provisoirement suspendue. Parmi les aspects clés du dossier, la compensation écologique. Déplacement des espèces protégées, reconstitution de nouvelles zones humides : tout est possible si l’on en croit les promoteurs du projet.

, pour de nombreuses instances, ces mesures sont jugées inadéquates, à l’instar de ce qui se joue aussi à Notre-Dame-des-Landes. Les pouvoirs publics entendent pourtant généraliser la compensation dans le cadre de la loi Biodiversité, en cours d’examen. Un « droit à détruire » pourrait ainsi être institué auquel s’opposent de plus en plus d’organisations et de citoyens.

En plus d’être des espèces protégées, qu’ont en commun le triton crêté, les lamproies de Planer, l’Agrion de Mercure et le flûteau nageant ? Ce sont toutes des espèces qui, parmi d’autres, sont au cœur des mesures de compensation écologique prévues lors de la construction du barrage de Sivens ou de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ces nouvelles infrastructures, réalisées sur des terres agricoles, des bois et des zones humides génèrent une perte de biodiversité et la dégradation d’habitats naturels que les pouvoirs publics souhaitent désormais voir « compensés ».

Creuser des mares, planter des arbres, fabriquer des refuges pour espèces protégées, déplacer les espèces menacées fait désormais partie de l’appareillage technico-juridique dont doit se doter n’importe quel nouveau projet d’aménagement du territoire et de construction d’infrastructure (aéroports, autoroutes, lignes ferroviaires, zones commerciales, etc.). Si la compensation écologique est prévue par la loi relative à la protection de la nature de 1976 dans le cadre de la doctrine « Éviter, réduire, compenser », ce n’est que très récemment qu’elle n’a été mise en œuvre de manière plus systématique, notamment suite aux critiques croissantes auxquelles sont exposées la construction de ces nouvelles infrastructures. (...)

Le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), ainsi que le Conseil national de protection de la nature (CNPN) par deux fois, ont pourtant émis des avis défavorables sur ces mesures de compensation jugeant qu’elles présentaient « un caractère hypothétique, voire inadéquat, notamment celles relatives à la restauration des zones humides ». (...)

le groupe des « décompenseurs en lutte » [3] a montré que les surfaces impactées par le projet sont sous-estimées, que les zones humides sont mal caractérisées et sous-évaluées, et que la biodiversité présente est également sous-évaluée puisque des espèces ont tout simplement été oubliées (y compris certaines espèces de mammifères, telle que la loutre d’Europe).

Par ailleurs, un écosystème est un système complexe fait d’innombrables et inextricables interactions entre les sols, les cycles biochimiques, les espèces qui l’habitent ou encore les fonctions écologiques qu’il assure. (...)

En raison des difficultés techniques inhérentes à l’intervention en milieu naturel – le déplacement d’espèces ne fonctionne pas nécessairement – et des approximations inévitables, les exemples de Notre-Dame-des-Landes et du Testet montrent à l’évidence l’impossibilité de compenser de façon adéquate des zones d’habitat naturel et de biodiversité détruites (...)

Pourtant, les pouvoirs publics entendent généraliser et diversifier la mise en œuvre des dispositifs de compensation. Ainsi, la loi Biodiversité [4] qui est en cours de lecture au Parlement pourrait créer des « obligations de compensation écologique ». Là où la doctrine de la loi de 1976 ne faisait que mentionner la possibilité de compensation sans en déterminer les contours, le projet de loi actuel l’instituerait en politique publique. Avec le risque qu’elle serve de dérivatif facile et généralisé aux étapes visant à éviter et/ou réduire les dégradations écologiques. (...)

Le projet de loi biodiversité pourrait donc créer en droit français ce que l’on appelle des banques d’actifs biodiversité. Là où les cas de Sivens et Notre-Dame-des-Landes relèvent d’une compensation par la demande – c’est l’aménageur qui génère et réalise ou fait réaliser la compensation – les banques d’actifs biodiversité permettent de développer une compensation par l’offre. Ces banques d’un nouveau genre mènent des projets de restauration de biodiversité qu’elles transforment ensuite en unité de biodiversité préservée ou restaurée. Ces banques génèrent donc des actifs biodiversité avant même que la dégradation écologique de l’aménagement n’apparaisse. Pour justifier leurs projets devant les pouvoirs publics, les aménageurs n’ont plus qu’à faire appel à ces banques d’actifs constituées ex ante et leur acheter quelques actifs biodiversité.

L’introduction des « réserves d’actifs naturels », par voie d’amendement gouvernemental en première lecture à l’Assemblée nationale, est le fruit de l’intense lobbying politique mené par la CDC biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts et consignations. (...)
La compensation écologique institue donc une double promesse. La promesse de remplacer ce qui est détruit à un endroit par un bout de nature restaurée par l’activité humaine à un autre endroit. Et la promesse de pouvoir poursuivre la construction de nouvelles infrastructures, tout en préservant l’environnement. Pour plus d’une centaine d’organisations du monde entier ayant signé une déclaration « Non à la compensation biodiversité » [5], de tels dispositifs instituent dès lors un véritable droit à détruire : plutôt que d’être déclarée illégale ou contraire à la protection de l’environnement, la construction de nouvelles infrastructures source de perte de biodiversité pourrait ainsi être encouragée.