
L’Ecosse a quitté l’union douanière et le marché commun contre son gré ; l’Irlande du Nord bénéficie d’un statut hybride peu satisfaisant. Autant de frustrations qui pourraient menacer l’unité du royaume.
De près comme de loin, les observateurs de la vie politique outre-Manche guettent les signes du prochain divorce.
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord – c’est son nom – tel que nous le connaissons aujourd’hui va-t-il éclater ? Survivra-t-il aux divergences exprimées depuis 2016 et la décision prise par les Anglais et les Gallois de quitter l’UE, sans le consentement des Ecossais et des Nord-Irlandais ? (...)
Les Britanniques ont voté à 51,9% pour le Brexit en 2016, mais en y regardant de plus près, 62% des Ecossais se sont opposés à la sortie de l’Union européenne. A nouveau, le 2 janvier 2021, la Première ministre Nicola Sturgeon, à la tête du Scottish National Party (SNP, indépendantiste) a dit espérer que l’Ecosse gagne son indépendance et puisse "rejoindre" l’Union européenne. Car son camp martèle depuis 2016 que les résultats du référendum de 2014, où 55% des Ecossais avaient dit "non" à l’indépendance, sont désormais caduques. "Le SNP fait valoir qu’à l’époque, l’Ecosse s’est prononcée pour rester au sein d’un Royaume-Uni qui se trouvait dans l’Union européenne. Avec le Brexit, la donne a changé", explique Edwige Camp, qui enseigne la civilisation britannique à l’université polytechnique des Hauts-de-France et a signé plusieurs ouvrages sur l’indépendance écossaise. (...)
L’opinion a aussi évolué. Selon le dernier sondage mené par l’institut Savanta ComRes pour le journal The Scotsman*, mi-décembre, 58% des Ecossais soutiennent désormais une rupture avec le Royaume-Uni. Un record. Depuis le vote en faveur du Brexit, le SNP consolide sa domination sur la vie politique écossaise et a pris la tête de toutes les institutions locales, ainsi que celle de la représentation écossaise à Westminster, le Parlement britannique. "Les modalités du Brexit ont sans doute joué, plus que le Brexit lui-même", analyse Edwige Camp, rappelant que l’Ecosse figure parmi les territoires qui seront, selon toutes les projections, parmi les plus affectés par le divorce européen. (...)
Ce pays majoritairement rural "a prospéré grâce au marché unique dans ses quatre composantes : libre circulation des biens, des services, des capitaux, mais aussi des personnes. L’Ecosse a vraiment besoin de cette main d’œuvre étrangère, notamment européenne, pour des raisons économiques et démographiques", liste encore la spécialiste. (...)
La Première ministre affrontera donc en position de force les élections générales écossaises, prévues en mai. Une victoire triomphante des indépendantistes devrait donner des arguments aux autorités écossaises, soucieuses d’obtenir de Londres l’autorisation d’organiser un nouveau référendum d’indépendance. (...)
"Le SNP n’a pas l’intention de passer outre l’autorisation de Londres. Pour eux, ce qui s’est passé en Catalogne est vraiment l’exemple à ne pas suivre."
Edwige Camp, professeure de civilisation britannique (...)
Or, Boris Johnson refuse jusqu’à présent de lancer une nouvelle consultation. Un problème pour Nicola Sturgeon ? Pas pour l’instant. (...)
L’île d’Irlande est divisée en deux : la République d’Irlande, au sud, est européenne, tandis que l’Irlande du Nord a quitté l’UE avec le reste du Royaume-Uni. Et au milieu ? Impossible d’ériger une frontière, conformément aux accords de paix signé en 1998. Face à ce casse-tête, Boris Johnson a obtenu en octobre 2019 l’instauration de cette fameuse frontière en mer d’Irlande. Si cette disposition, en vigueur depuis le 1er janvier, évite le rétablissement d’une frontière terrestre, elle rapproche de facto l’Irlande du Nord de son voisin du Sud. "L’accord met en place un début de réunification économique, puisque les biens circulent librement dans l’île d’Irlande, mais ce n’est plus le cas entre l’île d’Irlande et le reste du Royaume-Uni", explique sur France Culture Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique et irlandaise à l’université de Caen-Normandie. (...)
Par ailleurs, "un certain nombre de normes, de réglementations européennes continuent de s’appliquer en Irlande du Nord (…)
Sur le front politique, en revanche, pas question de rapprochement, même si Dublin s’est engagé à prendre en charge le maintien de sa voisine du Nord dans le programme d’échange étudiants Erasmus, que le reste du Royaume-Uni quittera à la rentrée prochaine. (...)
Avec le Brexit, "des fissures sont apparues dans l’architecture constitutionnelle du Royaume-Uni". Dans le Financial Times*, l’éditorialiste Philip Stephens envisage lui aussi la fin du Royaume-Uni tel que nous le connaissons. "Le Brexit a changé à tout jamais l’équilibre entre les parties constituantes de cette union. La décision de quitter l’UE était, en son cœur, une expression du nationalisme anglais", écrit-il, alors que 85% des Britanniques sont Anglais. Par conséquent "une réorganisation des relations au sein de l’UE est inévitable", tranche l’éditorialiste. Daniel Wincott, professeur de droit à l’université de Cardiff et contributeur du groupe de réflexion UK in a changing Europe*, abonde : "Faisant mentir son nom, le Royaume-Uni est loin d’être uni (…) Aucun effort n’a été fait pour créer ou maintenir une identité partagée par tous ou des institutions qui puissent l’étayer", écrit-il. (...)
En prenant seul à sa charge le dossier du Brexit, Londres a tourné le dos à ses partenaires historiques. (...)