
Traites atlantiques des Noirs (des « nègres », selon le mot de l’époque, où nègre signifiait esclave noir [1]) : deguisées en mission civilisatrice de la chrétienté. Colonialismes européens se partageant tout un continent : déguisés en antiesclavagisme civilisateur (abolitionniste de l’esclavage endémique africain). Néocolonialismes taillant à l’Afrique les habits neufs du roi (du roi nu de la fable vêtu d’un éblouissant costume inexistant) : déguisés en civilisation institutionnelle d’État postcolonial (national moderne et prédateur, à l’européenne). Nouvelles traites négrières en cours : déguisées en vague migratoire, en invasion de nouveaux barbares en quête de civilisation dans les pays développés et modernes.
C’est l’histoire en raccourci, la chaîne ininterrompue des changements et travestissements de cinq siècles d’expansion du mode d’accumulation capitaliste occidental en premier lieu par le pillage systématique des peuples d’Afrique : de l’Afrique sous-développée, « arriérée », asservie, saignée, spoliée de ses forces de travail vives.
S’agissant de l’esclavagisme ancien et moderne, d’Occident et d’ailleurs, il devrait être aujourd’hui superflu de rappeler combien il est stérile (combien c’est ne vouloir rien comprendre à l’histoire et au présent des sociétés contemporaines), que de mettre en avant et s’arrêter aux rapports juridiques et idéologiques ; combien c’est comparer l’incomparable, que de mettre en parallèle des systèmes culturels et juridiques essentiellement différents, par la base de leur vie sociale. Il est vrai que l’histoire de l’esclavage notamment moderne a été un tabou tenace de l’historiographie européenne uniquement préoccupée de l’idée du progrès endogène du monde occidental. (...)
L’impulsion nouvelle donnée aux recherches dans un domaine de l’histoire jusque-là délaissé a été fortement productive : non seulement ont été bouleversés l’approche et le discours des historiens sur l’esclavage sudiste aux Etats-Unis, mais encore (pour nous en tenir à notre sujet) l’a été la vision d’ensemble du procès d’accumulation primitive du capital en Occident : vision nouvelle du rôle primordial du travail des esclaves noirs (aussi bien dans les plantations que dans les villes) et de sa position au cœur de la demande du « commerce triangulaire » entre Europe, Afrique et Amérique.
L’esclavage direct est le pivot de l’industrie bourgeoise aussi bien que les machines, le crédit, etc… C’est l’esclavage qui a donné leur valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le commerce de l’univers, c’est le commerce de l’univers qui est la condition de la grande industrie. (...)
Faites disparaître l’esclavage, et vous aurez effacé l’Amérique de la carte des peuples. Aussi l’esclavage, parce qu’il est une catégorie économique, a toujours été dans les institutions des peuples. Les peuples modernes n’ont su que déguiser l’esclavage dans leur propre pays, ils l’ont imposé sans déguisement au nouveau monde.
(Karl Marx, 1847) (...)
Restons en France, où l’entreprise de mise en place d’œillères collectives présente une dimension accentuée de dirigisme étatique. Toute une partie de l’arsenal législatif vise à créer artificiellement les conditions de normalité de l’esclavage consenti et « volontaire », « libre » : il y a création d’un droit positif à l’esclavagisme informel. Même s’attaquer à l’esclavage extraordinaire (loi sur la « réduction en esclavage » domestique, difficile à découvrir et à établir) finit par faire écran à l’esclavagisme ordinaire des rapports sociaux qui s’étale librement sous les yeux aveuglés de tout le monde. (...)
demander, par des armes idéologiques, émoussées et inoffensives, des réparations pour la colonisation et l’esclavage d’autrefois ; mais se refuser à la lutte vive antiesclavagiste d’aujourd’hui, au combat des esclaves existants et vivants ; qu’est-ce sinon participer de près ou de loin à la vaste œuvre institutionnelle de déguisement du système esclavagiste, saignant les forces vives des peuples démunis de ce monde ?
Tous ceux qui comme moi travaillent et sont payés en espèces, cela nous pousse à faire de fausses cartes pour pouvoir faire de vraies déclarations. Ce système d’esclavage moderne, je parle du travail au noir, c’est la jungle. Les patrons ici c’est compliqué, quand ils voient que tu es un mec sans papiers, tu ne peux pas négocier avec. Il y a des femmes agressées par leur patron… Moi je travaille partout, dans le bâtiment, carrelage, peinture, eh bien je connais des patrons qui t’emploient soi-disant pour une journée de 8 à 17h. Et puis il vient avec un camion à 17h pour que tu le décharges, 2 ou 3 heures de boulot en plus non payées. Si tu dis non, tu ramasses tes affaires et tu rentres chez toi. C’est ça l’esclave moderne. (...)