
Surprise électorale, débâcle des partis traditionnels, « nuit des longs couteaux » au sein de la droite, début de la fin pour les héritiers de Pinochet, énorme défaite du président Sebastián Piñera — qui l’a reconnue lui-même —, victoire du mouvement populaire... Depuis hier soir, la presse chilienne multiplie les superlatifs pour cerner le séisme politique qui vient de secouer la cordillère des Andes, du désert d’Atacama jusqu’aux terres froides de la région de Magellan. Les Chiliens étaient appelés aux urnes samedi 15 et dimanche 16 mai pour quatre scrutins simultanés : maires, conseillers municipaux et gouverneurs régionaux devaient être renouvelés et une convention constitutionnelle élue afin de rédiger une nouvelle constitution de la République.
Personne, surtout pas les instituts de sondages, n’avait anticipé un tel bouleversement, même si l’isolement de l’exécutif était patent et le rejet de la « caste » politique massif depuis des années. Malgré la puissance de la révolte populaire d’octobre 2019 et son impact sur l’ensemble du paysage institutionnel, on pouvait être assez circonspect quant aux transformations provoquées par cette séquence électorale. (...)
les résultats électoraux d’hier changent profondément la donne. Tout d’abord, en ce qui concerne la constituante : la coalition de droite a du ravaler sa morgue. Ses dirigeants semblaient sûrs de réussir au moins à remporter un petit tiers des sièges (soient 52 sur 155), lui assurant ainsi une minorité de blocage et un droit de veto sur tous les articles de la future Constitution : c’est raté. Avec un peu plus de 23 % des voix, « Chile Vamos » devra se contenter de 37 sièges. C’est aussi un châtiment et une humiliation pour le président en exercice, M. Piñera, responsable de la crise que vit son pays depuis des mois.
Autre surprise, les rapports de force au sein de l’opposition de gauche se trouvent largement inversés. La liste qui regroupait le Parti communiste et le Front large (Frente amplio, nouvelle gauche issue des mouvements des années 2010) réussit son pari avec 28 élus constituants (18 % des suffrages exprimés). À l’inverse, les partis sociaux-libéraux de l’ancienne Concertation, qui ont gouverné de 1990 à 2010 sans remettre en cause l’héritage économique de la dictature, n’obtiennent que 25 sièges (dont 15 pour le Parti socialiste et seulement 2 pour la Démocratie-chrétienne).
Gauche et centre-gauche ne représenteront cependant qu’un tiers de l’assemblée. La véritable surprise vient surtout de l’ampleur du vote en faveur des « indépendants » qui raflent au total 48 sièges, marquant définitivement le rejet, massif, des partis politiques. Il s’agit d’un ensemble de candidatures très hétérogènes, incluant des complotistes et conservateurs notoires. Mais une majorité critique l’héritage autoritaire et néolibéral des dernières décennies. C’est particulièrement le cas des candidats de la « liste du peuple », qui regroupait des représentants des mouvements sociaux et de la société civile organisée, et qui avec 24 sièges fait entrer au sein de la constituante des figures de la révolte d’octobre, comme la « tante Pikachu » ou encore plusieurs dirigeantes du mouvement féministe, dont Mme Alondra Carillo. D’ailleurs, dans cette élection les femmes ont eu de bien meilleurs résultats que les hommes, certaines d’entre elles devant même renoncer à leur siège au nom du respect de la parité au sein de la convention constitutionnelle... (...)
La colère s’est aussi exprimée dans les urnes avec les élections municipales et celles des gouverneurs régionaux, dont il faudra analyser plus en détails les résultats. (...)
Alors que la convention constitutionnelle doit siéger durant 9 mois à 12 mois, les élections présidentielles de novembre prochain viendront à nouveau poser cette question : quel Chili s’agit-il de construire pour tourner la page de la dictature ?