
Le lanceur d’alerte des Nations Unies Anders Kompass, qui a révélé des abus sexuels commis contre des enfants par des agents de maintien de la paix français et africains en République centrafricaine (RCA), a présenté sa démission pour protester contre l’incapacité de l’organisation à demander des comptes à ses hauts fonctionnaires.
« La totale impunité pour ceux qui ont abusé de leur autorité, à divers degrés, associée au manque de volonté de la hiérarchie d’exprimer tout regret sur la façon dont ils m’ont traité confirme malheureusement que les Nations Unies n’ont pas l’habitude de rendre des comptes, » a dit M. Kompass à IRIN. « Il m’est donc impossible de continuer à y travailler. »
M. Kompass, directeur des opérations sur le terrain du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, avait en 2014 transmis aux autorités françaises un rapport interne confidentiel sur des violences commises contre des enfants par des soldats français en RCA, voyant que les Nations Unies ne tiraient pas la sonnette d’alarme ni ne mettaient un terme à ces agressions. Les exactions concernaient des enfants du camp pour personnes déplacées de M’Poko — dont certains d’à peine huit ans — souffrant de la faim, contraints d’avoir des rapports sexuels en échange de nourriture ou d’un peu d’argent.
Plutôt que d’enquêter sur les présumés responsables de ce crime qui s’est révélé être encore plus généralisé et sur la participation de ses propres agents de maintien de la paix, le Bureau des services de contrôle interne des Nations Unies avait alors lancé une enquête sur la conduite de M. Kompass. L’ancien diplomate suédois avait été accusé d’avoir divulgué des informations confidentielles, condamné pour « faute professionnelle », suspendu de ses fonctions, escorté hors de son bureau de façon humiliante et appelé à démissionner.
Plus tard, un groupe d’experts indépendants reprochera aux membres de la hiérarchie des Nations Unies d’avoir « abusé de leur autorité » dans la gestion de ce scandale.
Paula Donovan de Code Blue, une campagne visant à mettre fin aux sévices sexuels commis par des soldats de maintien de la paix des Nations Unies, a dit que l’attitude de l’organisation n’avait pas laissé à M. Kompass d’autre choix que démissionner. [http://www.codebluecampaign.com/] (...)
Les Nations Unies ont toujours prétexté que les troupes mises à disposition par des pays pour des missions de maintien de la paix ne relevaient pas de leurs compétences, que les soldats ne pouvaient être poursuivis que dans leur pays d’origine. Le besoin d’agents de maintien de la paix dissuade peut-être l’organisation d’imposer des mesures plus strictes. Certains pays se sont en effet montrés réticents à la mise en œuvre de nouvelles réformes.
Human Rights Watch a révélé récemment que des soldats de maintien de la paix du Congo-Brazzaville servant au sein de la mission de l’Union africaine en RCA auraient tué au moins 18 personnes, dont des femmes et des enfants, entre décembre 2013 et juin 2015 et auraient jeté leurs corps dans une fosse commune près de leur base. Selon le groupe de défense des droits de l’homme, le gouvernement a jusqu’à présent ignoré les demandes des Nations Unies d’ouvrir une enquête judiciaire. (...)
deux ans après que le scandale a éclaté, Mme Donovan est amère. « Ban Ki-Moon a beau parler de tolérance zéro, il a nommé quelqu’un pour coordonner ce qui n’a été identifié que comme un échec, une défaillance du système. » (...)
Tandis que les Nations Unies se concentrent sur la réforme du système sur le terrain, les détracteurs dénoncent la relative impunité des fonctionnaires des Nations Unies aux échelons supérieurs. Une absence de redevabilité mise à nu par l’affaire Kompass.
Abus d’autorité
Le rapport du comité d’experts indépendant a conclu que trois fonctionnaires avaient « abusé de leur autorité » : Babacar Gaye, représentant spécial du secrétaire général pour la MINUSCA ; Carman Lapointe, sous-secrétaire général pour le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) et Renner Onana, chef de la Section Droits de l’homme et Justice de la MINUSCA. (...)
« Les lanceurs d’alerte cherchent à faire en sorte que les auteurs d’actes criminels soient tenus pour responsables de leurs fautes », a dit Mme Edwards. « Ceux qui prennent le risque de signaler ces fautes devraient être protégés, salués et récompensés. »
M. Kompass, 60 ans, quittera ses fonctions le 31 août, un an avant la fin de son contrat. Il aurait accepté un poste au ministère des Affaires étrangères suédois.
« Cette décision a été très difficile à prendre pour moi, après 21 ans au total passés aux Nations Unies », a-t-il dit à IRIN, « mais elle était inévitable. »
Prochainement : Anders Kompass commentera en exclusivité et en détail les raisons de sa démission.