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Déradicaliser : mission impossible ?
Article mis en ligne le 31 janvier 2021
dernière modification le 30 janvier 2021

Trois sociologues reviennent sur l’expérience d’un des premiers centres de « déradicalisation » ouvert en France à la suite des attentats de 2015.

Le premier « Centre de Prévention et d’Insertion à la citoyenneté » de Beaumont-en-Véron s’est ouvert en juillet 2016 sur le site de Pontourny. Projet emblématique lancé par Manuel Valls après les attentats de 2015, le centre a tout de suite attiré l’attention des médias. Le parcours proposé dans cet internat semi-ouvert devait permettre aux bénéficiaires de se désengager, de développer leur sens critique et de construire, une fois sortis, leur projet professionnel. A travers une série d’entretiens ciblés, les trois auteurs, sociologues, dévoilent les désaccords et les conflits qui ont peu à peu invalidé une expérience conçue dans la précipitation (...)

Celle-ci devait préfigurer l’ouverture de treize autres centres similaires, un dans chaque nouvelle région métropolitaine. Chaque centre est constitué juridiquement sous la forme d’un groupement d’intérêt public [GIP] et placé sous la responsabilité du Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation [CIPDR]. D’une capacité maximale de 25 places, il est censé accueillir de jeunes adultes signalés pour « radicalisation », mais n’ayant aucun antécédent judiciaire et n’étant pas « fichés S » par les services de renseignement.

Un projet de déradicalisation

Avant d’évoquer les modes d’intervention envisagés pour juguler ce phénomène, il faut interroger la problématique de la radicalisation et de la « radicalité politicoreligieuse » (...)

Le centre de Pontourny emploie 27 personnes dont cinq psychologues, une infirmière psychiatrique, neuf éducateurs spécialisés et cinq personnes travaillant la nuit. Il est également fait appel à des intervenants extérieurs. Après avoir été paradoxalement occultée – cet oubli constituant un élément supplémentaire de perturbation –, la dimension religieuse sera finalement prise en compte par la nomination d’un aumônier religieux présent quinze heures par semaine. Le lieu de culte musulman le plus proche est à une heure de route. Un bilan est tiré à la fin du programme et les personnes sont systématiquement invitées, sur la base du volontariat, à un nouvel entretien dans un délai de six mois à l’issue du programme.

En raison des départs anticipés – aucune personne n’étant restée plus de cinq mois –, le programme n’a pu être mis en œuvre dans sa globalité et la direction du centre a été conduite à proposer en urgence des tutorats additionnels pour maintenir le lien avec les personnes qui avaient quitté le centre.

Un bilan mitigé

C’est hâtivement et à la faveur d’une opportunité politique, que le Centre de Prévention et d’Insertion à la Citoyenneté [CPIC] remplace un Centre Educatif et de Formation Professionnelle [CEFP] appelé à disparaître.
Non sans enthousiasme, une partie importante de ses éducateurs et travailleurs sociaux accepte de rejoindre le projet. Les autres formateurs proviennent d’Établissements Publics d’Insertion de la Défense [EPIDE]. Très rapidement, cette cohabitation, prometteuse de richesse et de complémentarité, se heurte aux différences d’origine, de conception éducative, de formation et de statut entre les formateurs et les éducateurs, les premiers issus du milieu de la défense privilégiant cadrage et autorité, les seconds du travail social favorisant l’écoute et l’accompagnement.

Confusion dans les objectifs, difficultés d’une prise en charge commune, complexité de la question religieuse, hésitations sur le mode de l’encadrement, controverses sur les conceptions de la radicalisation, surmédicalisation du centre, gestion inadaptée et budget insuffisant auront raison au bout d’un an seulement des efforts considérables déployés par les travailleurs sociaux, non sans amertume et souffrance. L’attitude à tenir face au danger de la radicalisation ainsi que la place et la gestion de la dimension religieuse ont particulièrement cristallisé les oppositions, jusqu’à prendre une forme conflictuelle.

De nombreuses questions resteront en suspens tout au cours de l’expérience (...)

Présenté comme expérimental pour être reproduit, le centre devait être exemplaire. Or la multiplication de maladresses relayées par voie de presse attire rapidement la défiance de la population locale et le sentiment d’insécurité. Certes, comme le rappelle constamment sa direction, aucun incident à l’extérieur impliquant les personnes accueillies n’a été à déplorer depuis l’ouverture du centre. Plusieurs personnes entendues à l’occasion du déplacement des rapporteurs du projet ont déploré que le message adressé par la direction du centre se résume à un discours mettant en avant les points positifs et à admettre uniquement des erreurs de communication. Plus fondamentalement, le centre est critiqué pour son absence de résultats : à sa fermeture, le centre est vide après avoir fonctionné, au mieux, à moitié de sa capacité d’accueil maximale. (...)

Quels enseignements en tirer ?

Les auteurs concluent qu’au-delà des erreurs qui ont émaillé la mise en place du dispositif expérimental, la question de l’efficacité d’un « centre de déradicalisation » est clairement posée même si l’expérimentation a eu le mérite d’être tentée. (...)

Selon eux, le déracinement des personnes accueillies de leur milieu d’origine pour une destination éloignée et isolée ne favorise pas nécessairement la réussite de tels programmes. À l’inverse, une politique locale spécifique de prévention de la radicalisation à côté d’un service de prévention de la délinquance chargé d’assurer la sensibilisation des écoles (enseignants, directeurs, etc.) ou des hôpitaux, serait sans doute plus adaptée. (...)

Nos trois sociologues montrent aussi les limites d’une solution répressive : le port de l’uniforme, la levée de drapeau ou la récitation de l’hymne national sont autant de symboles difficiles à accepter par les éducateurs spécialisés, qui peinent à y trouver un sens éducatif. À cela s’ajoute le cadre disciplinaire imposé par la direction, qui use d’une pédagogie reposant sur l’autorité et l’intimidation, que certains éducateurs assimileront à de la maltraitance. Deux conceptions de la « déradicalisation » vont opposer rapidement les éducateurs, adeptes d’un travail éducatif ordinaire marqué par la relation de confiance et le développement d’un esprit critique, et les partisans d’une formule militarisée du travail social.

En définitive, si, comme l’indiquent les auteurs en conclusion, il y a là « un observatoire des évolutions de la société française », on peut néanmoins regretter que ceux-ci n’aillent pas plus avant dans les recommandations adressées aux pouvoirs politiques. Cette lacune n’enlève pas son intérêt à cette enquête sociologique menée avec rigueur qui s’appuie sur des entretiens authentiques et souvent émouvants.

Et après ?

Les tentatives qui ont succédé à l’expérience de Pontourny, s’il nous est permis de les rappeler pour conclure, n’ont pas davantage permis d’éliminer le phénomène de radicalisation. (...)