Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
le Monde Diplomatique
Dernier pas vers la sélection humaine
par Jacques Testart
Article mis en ligne le 20 janvier 2018

Le terme « eugénisme » a été inventé à la fin du XIXe siècle par Francis Galton, un anthropologue cousin de Charles Darwin, pour définir la « science de l’amélioration des races ». L’infanticide, la gestion des mariages, la stérilisation, l’extermination ou l’avortement risquent bientôt d’apparaître comme de bien piètres moyens pour améliorer la qualité humaine au regard des apports de la génétique moléculaire, alliée à l’informatique et à la biologie cellulaire.

(...) On peut penser que, dès qu’une méthodologie efficace, indolore et sécurisée sera proposée pour choisir un enfant parmi tous ceux qui auraient été possibles, l’afflux des couples saturera les services biocliniques. Les patientes étant dispensées des servitudes actuelles (stimulations hormonales, dosages sanguins, échographies, ponction ovarienne), un véritable criblage des génomes embryonnaires deviendrait possible, afin d’en comparer chaque aspect à celui du « génome normal » — lequel n’existe pas naturellement, puisque tout individu est porteur de plusieurs gènes potentiellement pathologiques —, et les critères choisis devraient largement converger vers une norme médicale ou sociétale. Cette nouvelle sélection diffère de l’ancienne en ce qu’elle est demandée par les futurs parents plutôt qu’imposée. Mais ses critères de choix risquent d’être communs à tous les couples, comme le remarque le Conseil d’État en notant qu’un certain eugénisme peut résulter de la convergence de décisions individuelles. L’économie de la santé bénéficierait de la réduction attendue de la fréquence de graves maladies par la présélection des naissances, mais l’appréciation statistique de prédispositions génétiques au déterminisme complexe pourrait conduire à des désillusions, surtout individuelles. Dans ce processus de normalité fabriquée visant le « meilleur » du patrimoine biologique de l’humanité, les différences ou déviances par rapport à la norme, y compris la norme comportementale et les maladies mentales, devraient s’avérer intolérables. Les dérives autoritaires au nom du bien collectif ne sont pas exclues, tandis que le nivellement « par le haut » des génomes pourrait conduire, en quelques générations, à s’écarter de l’Homo sapiens selon les vœux des transhumanistes et au péril d’une réduction drastique de la diversité.

Toutes les étapes pour la sélection humaine sont désormais réalisées ou en voie de réalisation (...)

Le concept de l’eugénisme souffre aujourd’hui de deux caricatures opposées : les stérilisations obligatoires du premier tiers du XXe siècle, et surtout les crimes de la période nazie, ont provoqué une « répulsion démocratique » qui réduit l’eugénisme à une politique autoritaire et nie ainsi le caractère potentiellement eugénique de toute pratique volontaire ; par ailleurs, l’exigence de protection de toute vie humaine, principalement par l’Église catholique, entraîne la qualification d’eugénisme pour tout acte éliminant un embryon ou un fœtus. Ainsi se trouve négligée une caractéristique essentielle de l’eugénisme : son potentiel de modification de l’espèce. C’est bien ce potentiel que pourrait nourrir le tri embryonnaire, sans commune mesure avec l’avortement sélectif après diagnostic prénatal, lequel ne peut évaluer qu’un fœtus par an, et seulement au prix de souffrances morales et physiques. Comment des résolutions éthiques ou législatives seraient-elles capables de s’opposer à la revendication de procréer des enfants « de meilleure qualité » dès que la proposition en sera faite ?

Pourtant, c’est dans l’indifférence que se prépare la sélection des humains dans les éprouvettes des biogénéticiens.