
Pour vanter son supposé caractère écolo, les promoteurs de la voiture électrique s’appuient sur des performances inexistantes. Surtout, ils la placent au cœur d’un système de mobilité centré sur la voiture autonome, donc l’intelligence artificielle.
On l’a vu, les véhicules électriques sont loin d’être un substitut magique permettant de limiter la catastrophe environnementale. Leur fabrication émet environ deux fois plus de gaz à effet de serre que leurs équivalents thermiques et génère beaucoup plus de pollutions toxiques du fait de la quantité bien supérieure de métaux qu’ils contiennent. Et comme leurs batteries ne durent qu’une dizaine d’années, qu’on les utilise ou non, il s’avère compliqué d’amortir toutes ces pollutions. Il faut que les véhicules aient de petites batteries, et donc ne servent qu’à des déplacements locaux. Que leur usage soit intensif, sans quoi la batterie perd de sa puissance avant même d’avoir servi à polluer moins — donc, que les véhicules soient partagés, au lieu de passer 95 % de leur durée de vie en stationnement. Il faut que la recharge de ces batteries s’effectue en mode lent, et ne crée pas de pics de consommation d’électricité ; que les métaux de ces batteries soient recyclés ou, au minimum, que les batteries soient massivement réutilisées pour stocker de l’électricité solaire ou éolienne.
Le projet de faire des véhicules électriques le socle d’une mobilité plus écologique repose donc moins sur le tableau d’ensemble actuel que sur une série d’hypothèses suspendues à des progrès futurs. (...)
Le véhicule électrique n’est qu’une facette d’une « révolution » imminente (...)
Ainsi, demain, imaginent leurs promoteurs, grâce à l’avènement des véhicules autonomes, les plateformes comme Uber pourront faire baisser le prix des courses en supprimant le coût du chauffeur, ce qui incitera tout un chacun à ne plus posséder de voiture personnelle. Il suffira d’en appeler une depuis son smartphone. On pourra également envoyer son véhicule autonome chercher ses voisins pour partir travailler en covoiturage grâce à une appli dédiée. Grâce à la généralisation de la 4G et de la 5G, les feux rouges, les panneaux et les routes communiqueront avec les voitures, qui pourront aussi s’échanger des informations, ce qui fluidifiera le trafic et rendra la conduite plus économe en énergie. Après cette révolution des véhicules connectés et autonomes favorisant l’autopartage, les problèmes inhérents aux véhicules électriques seront résolus par la main invisible de l’intelligence artificielle et des réseaux. Le chaos de la motorisation individuelle fera place à un ballet silencieux et ordonné. (...)
Mais si tel est l’horizon qui se dessine en arrière-plan du passage à la voiture électrique, quelles conséquences écologiques pourraient résulter du fait de placer la mobilité sous le grand ordonnancement du big data et des réseaux ? (...)
la « smart mobility » s’apprête à faire exploser le volume du trafic sur les réseaux et dans les data centers. Comment cela n’effacerait-il pas les gains issus de la rationalisation des mobilités obtenue par la connectivité ? (...)
De plus, le véhicule autonome est à peu près l’inverse de la sobriété. Pour passer d’un « simple » véhicule actuel à un véhicule autonome capable de se conduire et de se garer tout seul, il faut une quantité non négligeable d’équipements supplémentaires : caméras, lidars, radars et des centaines d’autres capteurs permettant de remplacer la perception et la conduite humaines. En plus des conséquences écologiques de la production très intensive en métaux et en produits chimiques de cette électronique de pointe, il faudra alimenter ces voitures en électricité. « Tout le monde est d’accord sur le fait que les véhicules autonomes seront très voraces en électricité, écrit Lance Eliot, expert étasunien en intelligence artificielle et directeur du Cybernetic AI Self-Driving Car Institute. (...)
même si l’efficacité des batteries de voitures électriques s’améliorait prodigieusement, même si l’on parvenait à rendre leur production moins polluante, il en faudrait de plus grosses et de plus puissantes pour alimenter les véhicules électriques « autonomes ». « C’est ce qui s’est passé avec les smartphones, poursuit Lance Eliot. Les premiers smartphones avaient de petites batteries peu performantes. On a amélioré leur efficacité. Mais dans le même temps, les fonctions des téléphones ont été démultipliées, si bien qu’ils consomment maintenant beaucoup plus d’électricité. (...)
Autre problème : on a constaté que les véhicules électriques, silencieux et confortables, peuvent inciter à multiplier les déplacements en voiture au détriment de la marche ou des transports collectifs. (...)
On peut donc se demander si une « mobilité du futur associant véhicules électriques, services de mobilité et véhicules autonomes » correspond réellement au « cercle vertueux », décrit avec optimisme par l’Ademe (...)
Est-il possible de lutter contre le réchauffement climatique en subventionnant l’industrie automobile et les start-up du numérique ? Non ? Alors il est encore temps de prélever quelques milliards du plan de soutien à l’automobile pour, par exemple, développer la recherche sur les mobilités low tech, subventionner les réparateurs de vélos et réhabiliter les vieilles lignes de train, dont l’infrastructure est déjà en place et amortie depuis des décennies.