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Derrière les cafés Joyeux, la galaxie catholique réactionnaire
Article mis en ligne le 14 juillet 2020
dernière modification le 13 juillet 2020

Côté rue, l’enseigne Café Joyeux présente un visage avenant où bonté de cœur et esprit d’entreprise œuvrent de concert pour favoriser l’intégration au monde du travail de personnes en situation de handicap cognitif. Côté cour, ses intrications avec les sphères les plus réactionnaires du catholicisme français questionnent. Tout comme les soutiens institutionnels et politiques dont elle bénéficie. (...)

depuis l’ouverture du premier Café Joyeux en 2018 à Rennes, la chaîne de coffee-shops n’a cessé de gagner en visibilité. Elle compte désormais cinq restaurants à Rennes, Bordeaux et Paris, et a même inauguré une enseigne sur les Champs-Élysées au mois de mars. D’autres projets seraient par ailleurs en cours de préparation dans différentes villes de France.
« Servi avec le cœur » clame leur devise. Marketing léché, visuels enfantins et sémantique positive déclinée sur tous les supports de communication, Joyeux veut raconter une belle histoire « 100 % solidaire » et inclusive, où bonté du cœur et esprit d’entreprise changent la donne, tout en générant des bénéfices. La matière ne manque pas pour un bon storytelling : voici une chaîne de restauration qui emploie des personnes en situation de handicap – porteuses de trisomie 21, autistes – et veut donner l’exemple d’une entreprise nouvelle, dans laquelle les différences cognitives sont mises à l’honneur. Café Joyeux prouve notamment que l’inclusion par le travail est possible y compris dans un milieu aussi ouvert que celui de la restauration, à la condition d’adapter les pratiques managériales et l’organisation du temps de travail. En travaillant au Café Joyeux, les employés se forment, montent en compétences et ont plus de chance de trouver du travail par la suite.
À l’origine de l’initiative, on trouve Yann et Lydwine Bucaille Lanrezac, entrepreneurs fortunés, philanthropes et catholiques pratiquants. Lui est à la tête d’Émeraude, une multinationale de négoce de matières plastiques qu’il a rachetée à son père. Le couple est également propriétaire d’un hôtel 5 étoiles, le Castelbrac, à Dinard (Ille-et-Vilaine). Outre leurs activités entrepreneuriales, les Bucaille Lanrezac soutiennent différentes œuvres de charité. C’est ainsi qu’en 2010, ils créent le fonds de dotation Émeraude Solidaire, qui reçoit une partie des bénéfices du groupe Émeraude et les redistribue en finançant une multitude d’associations [1]. 

Soutien à la galaxie des associations catholiques, dont certaines très réactionnaires (..)

de 2014 à 2017 Émeraude Solidaire finance Enfants du Mékong, association humanitaire dont l’ancien directeur et désormais vice-président, Yves Méaudre, est un militant anti-PMA, proche de la Manif pour tous et d’Alliance Vita. Cette dernière est l’organisation fer de lance du mouvement pro-vie, contre l’avortement, l’euthanasie, la PMA ou encore le mariage homosexuel. Alliance Vita s’est ainsi largement mobilisée à l’époque de la Manif pour tous, puis plus récemment, contre l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, dans le cadre du mouvement Marchons Enfants ! Yves Méaudre a notamment été invité à intervenir lors de « l’université de la vie », un cycle de formations sur la bioéthique organisé par Alliance Vita début 2020 [2].
Dans la même veine idéologique, en 2017, Émeraude Solidaire finance la fondation Jérôme-Lejeune. Se décrivant comme le « premier avocat de la vie », elle est aussi opposée au mariage homosexuel et à la PMA mais avant tout, à l’avortement. En 2016, elle était à l’origine d’un fascicule anti-IVG distribué dans différents lycées catholiques
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Émeraude Solidaire finance également des structures d’éducation catholique ou de promotion de l’école privée. En 2017 et 2018, c’est un club non mixte, basé à Paris et Versailles et destiné à l’éducation des garçons, le Club Fennecs, qui bénéficie de son soutien. Le site internet du club multiplie les références à Josemaria Maria Escriva de Balaguer, fondateur de l’Opus Dei, organisation religieuse née en Espagne en 1928 et dont les manœuvres pour imposer à la société son interprétation réactionnaire du catholicisme ont été maintes fois dénoncées. On y apprend en outre que la prélature de l’Opus Dei, « assume la responsabilité des activités de formation humaine et chrétienne et nomme l’aumônier du Club ». (...)

Une communauté qui « s’inspire du néo-pentecôtisme aux États-Unis »

Pourtant, les accointances et le réseau des Bucaille Lanrezac tendent à confirmer que ces soutiens accordés via leur fonds de dotation sont loin d’être fortuits. Ils sont ainsi particulièrement proches de la Communauté de l’Emmanuel, dont ils participent aux rassemblements d’été à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), où ils ont également racheté un hôtel, Le Prieuré.

(...) Le fonds de dotation soutient également, en 2016 et 2017, la fondation Espérance Banlieues, une initiative de promotion de l’école hors-contrat. La fondation revendique 700 élèves répartis dans 17 écoles à Montfermeil, Mantes-la-Jolie, Argenteuil, Roubaix ou encore Marseille. Quoique se disant non-confessionnelle, celle-ci est néanmoins portée par la Fondation pour l’École, qui soutient et cherche à étendre le réseau d’écoles privées catholiques en France. La Fondation a été initiée par plusieurs personnes, dont son ancienne directrice, Anne Coffinier, elle aussi proche de la Manif pour tous [4]. 
En revanche, les fonds alloués demeurent relativement faibles, voire symboliques : quelques milliers d’euros pour chaque subvention annuelle. Et ils s’arrêtent au plus tard en 2018, année à partir de laquelle Émeraude Solidaire concentre son soutien au projet Café Joyeux. Si le faisceau idéologique que dessinent ces fonds questionne, pour Edwige de France, la responsable communication, il n’y a « pas de sujet ». « Yann [Bucaille Lanrezac], c’est quelqu’un qui donne avec le cœur, il est en dehors de tout ça », soutient-elle, ajoutant que son employeur « ne peut pas être tenu responsable de ce que font les personnes » qu’il finance et que celui-ci ne commentera pas ces choix.
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« Il s’agit d’un catholicisme conservateur sur les mœurs, mais extrêmement libéral du point de vue économique », avance Josselin Tricou, chercheur à l’Inserm et auteur d’une ethnographie sur les « camps optimum », des stages pour hommes hébergés par l’Emmanuel. Selon lui, la communauté « s’inspire du néo-pentecôtisme aux États-Unis » et « fait le pont entre les traditionalistes qui, eux, seraient plutôt dans une logique de refus de la modernité, et un catholicisme libéral », plus enclin à user du marketing ou d’autres techniques d’entreprise à des fins d’évangélisation. « Il y a un vrai désir de reconquête de la société mais qui ne se montre pas totalement » explique-t-il.

« L’Emmanuel recrute dans la haute bourgeoisie et l’aristocratie »

(...) L’État serait donc actuellement en train de discuter avec les Cafés Joyeux et envisage de les passer en entreprise adaptée, ce qui leur garantirait un soutien pour chaque employé en situation de handicap. Sur les financements accordés par le fonds de dotation Émeraude Solidaire, la secrétaire d’État, que nous avons joint par téléphone, assure ne pas connaître « l’historique », et que ça ne « l’intéresse pas ».
Chez Café Joyeux, on se garde bien d’aborder les questions politiques en public. Des accointances réactionnaires des fondateurs, rien n’affleure dans la communication abondante de l’entreprise
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Emmanuel et Brigitte Macron à l’ouverture du café Joyeux des Champs Élysées

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L’État serait donc actuellement en train de discuter avec les Cafés Joyeux et envisage de les passer en entreprise adaptée, ce qui leur garantirait un soutien pour chaque employé en situation de handicap. Sur les financements accordés par le fonds de dotation Émeraude Solidaire, la secrétaire d’État, que nous avons joint par téléphone, assure ne pas connaître « l’historique », et que ça ne « l’intéresse pas ».
Chez Café Joyeux, on se garde bien d’aborder les questions politiques en public. Des accointances réactionnaires des fondateurs, rien n’affleure dans la communication abondante de l’entreprise
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