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Derrière les sondages, précarité et course au rendement
Article mis en ligne le 12 février 2012
dernière modification le 9 février 2012

A trois mois de l’élection présidentielle, la haute saison des sondages et autres enquêtes d’opinion commence. Derrière les courbes d’intentions de vote, le sociologue Rémy Caveng a étudié les enquêteurs, petites mains des « instituts » de sondages. Payés à la mission, contraints de s’adapter aux exigences de leurs multiples employeurs, ils courent après une productivité sans fin qui fait passer la qualité des enquêtes au second plan.

(...) D’emblée, il faut rappeler que si les instituts se présentent ainsi pour « faire science », ils ne sont en réalité que des entreprises comme les autres. Les sondeurs sont des marchands qui vendent une marchandise : les études de marché. Or cette marchandise se vend très bien en France (...)

Dans ce modèle économique, les enquêtes d’opinion ne sont produites que de manière marginale, mais cédées sous d’excellentes conditions aux médias : pour un prix deux, quatre ou dix fois moins élevé que celui des études de marché. Elles apportent bien sûr un important capital symbolique, c’est-à-dire du prestige pour l’entreprise. (...)

Pour survivre dans cet univers, tous doivent déployer une grande polyvalence : passation de questionnaires, encadrement d’équipes, codification de questions ouvertes, livraison et préparation de produits à tester, secrétariat, accueil… Pour accomplir toutes ces tâches, l’expérience prime largement sur le diplôme ou les formations internes. (...)

Les enquêteurs sont des vacataires, rémunérés à la mission et subissant une visibilité de leur emploi du temps extrêmement faible. Pour obtenir une rémunération suffisante, ils doivent multiplier les employeurs, et tisser une relative fidélité avec certains d’entre eux. Les entreprises de sondage entretiennent ainsi un rapport de force largement à leur avantage puisque, en situation de chômage de masse, une « armée de réserve » existe en permanence. Cela contraint les enquêteurs à faire preuve de docilité, à se montrer particulièrement productifs et à faire preuve d’une grande disponibilité dans leur emploi du temps. (...)

La production attendue ne peut jamais être accomplie dans les temps impartis et à coûts réduits sans « bidonnage ». Les encadrants le savent aussi bien que les enquêteurs : par exemple, il est strictement interdit de reformuler les questions… mais il est presque impossible d’obtenir des réponses de publics d’origines sociales diverses sans retraduire les questions en ajustant son niveau de langage ! De la même manière, certains « bons » sondés sont sollicités systématiquement, sans respecter les délais d’intervalle imposés. En réalité, les enquêteurs apprennent ainsi rapidement à « bidonner intelligemment ». Les chefs d’équipe et chargés de terrain n’ouvrent les yeux qu’en cas de fautes grossières, qui sont alors l’occasion d’exclure un vacataire pour « faire un exemple ». (...)

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