
Des dizaines de villes allemandes choisissent de reprendre la main sur leur énergie grâce à des régies communales. Ces entreprises publiques locales gèrent les réseaux, vendent gaz et électricité et s’investissent dans la production d’énergies renouvelables.
Elles ouvrent aussi leur capital à des coopératives de citoyens. Pendant ce temps, les grands groupes énergétiques, après avoir encensé le nucléaire, misent toujours sur le charbon, ultra-polluant, et vendent leur électricité plus cher. Le mouvement vers une transition énergétique décentralisée prend de l’ampleur. La France doit-elle suivre l’exemple ? Enquête. (...)
« Aujourd’hui, Il est tout simplement interdit de créer une régie municipale d’énergie en France », déplore Raphaël Claustre, président du réseau pour la transition énergétique Cler. Un mouvement qui viserait à re-municipaliser l’énergie, sur le modèle de ce qui s’est produit pour la gestion et la distribution de l’eau l’eau (voir notre enquête), et à favoriser localement le recours à des énergies renouvelables, est donc impossible. Pourtant, 160 régies municipales de l’énergie existent bel et bien en France. Les habitants de Grenoble, Metz, Elbeuf en Normandie ou Péronne en Picardie sont ainsi approvisionnés en électricité ou en gaz par des entreprises locales, aux tarifs réglementés. Plusieurs de ces régies sont 100 % communales. D’autres, comme Gaz et électricité de Grenoble, sont des sociétés d’économie mixte, où la collectivité détient la majorité du capital, à côté d’un groupe privé, GDF Suez dans le cas de Grenoble [1].
Ces régies sont souvent à la pointe en matière d’énergies renouvelables. (...)
Mais ces régies publiques de l’énergie, qui gèrent elles-mêmes leurs réseaux, ne couvrent que 5% du territoire. Ailleurs, c’est-à-dire sur 95 % du territoire français, c’est ERDF qui s’en occupe. (...)
De l’autre côté du Rhin, les régies publiques locales d’énergie sont monnaie courante. Il en existe plus d’un millier, entièrement détenue par la collectivité ou en société mixte. Elles fournissent plus de 45 % de l’électricité consommée dans le pays ! Comment expliquer cette différence ? (...)
La plupart des concessions actuelles sur les réseaux énergétiques allemands ont été accordées il y a une vingtaine d’années. Et arrivent à échéance. L’occasion pour les élus locaux d’y réfléchir à deux fois avant de reconduire une gestion privée. Beaucoup optent pour une gestion publique par une régie municipale, qui devient souvent productrice d’énergie. Depuis 2005, 120 nouvelles régies locales ont ainsi vu le jour en Allemagne ! Et 200 concessions ont été reprises par des régies depuis 2007 [4]. Un mouvement de fond.
Une électricité locale souvent plus « verte » et moins chère (...)
L’abonnement « vert » est devenu un produit quasi-incontournable des régies locales allemandes. « Quand l’électricité sort de la prise, on ne peut pas savoir si elle a été produite par des énergies renouvelables ou par du nucléaire. Mais plus il y a de personnes qui achètent chez des fournisseurs qui s’approvisionnent en énergies renouvelables, plus il y aura d’énergies renouvelables dans les réseaux », estime Andreas Graf, directeur commercial de la régie municipale de Titiensee-Neustadt, créée en 2011. (...)
Ouvrir les régies communales à des coopératives citoyennes engagées sur la transition devient une pratique courante en Allemagne. « Certaines régies communales mettent en place un comité des habitants-clients. Mais c’est seulement consultatif. En leur ouvrant leur capital, elles sont obligées de prendre en compte la participation citoyenne » (...)
En France aussi, le mouvement des coopératives citoyennes de production d’énergie renouvelable prend son essor. Le réseau Énergie partagée en accompagne 35 actives. Avec celles en gestation et en attente de permis, la France en compterait une centaine. Sans oublier Enercoop, la première coopérative française de fourniture d’électricité, créée en 2004, qui approvisionne 18 000 usagers. Mais la loi interdit toujours les collectivités de se lancer dans l’aventure pour accélérer le développement des énergies renouvelables.
Une situation que le Cler a contestée en 2012 devant le tribunal administratif de Paris [5] et par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Avec l’argument que l’interdiction de créer des régies locales contrevient au principe d’égalité des citoyens et à celui de libre administration des collectivités. La contestation est pour l’instant restée vaine. (...)