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[Attac33] Le Ptitgrain n°332
Des petits clics et un grand choc
Jean - Luc Gasnier
Article mis en ligne le 30 juin 2015

Evidemment, ce n’est pas une profession réputée pour avoir développé en son sein un sens aigu du service public et du bien commun ; mais c’est une profession règlementée, soumise à des obligations et contraintes administratives, qui entend préserver un statut dont elle tire quelques avantages. La profession de chauffeur de taxi stigmatise volontiers la lourdeur de l’État français mais implore depuis des mois sa protection et notamment l’application stricte de la loi Thévenoud censée la protéger contre la concurrence déloyale des taxis qui ne sont pas taxis. Ce n’est pas là le moindre paradoxe de l’actualité de la semaine qui a été dominée et assombrie par l’ombre inquiétante de l’oncle Sam et de ses grandes oreilles au moment même du vote de la loi sur le renseignement.

A l’heure du terrorisme islamique, des migrations internationales, de la compétition entre États, nos sociétés modernes semblent tristement condamnées à la surveillance généralisée dans le cadre d’une économie livrée peu à peu aux seuls mécanismes du marché.

La société américaine Uber tire profit de l’organisation du libre jeu du marché ; Elle permet aux acteurs, à l’offre et à la demande (chauffeurs et clients potentiels), de s’affranchir de la réglementation propre à un secteur professionnel et leur évite donc d’en payer les coûts. Avant d’être un service de transport de personnes, ce sont des applications, des mises en relation grâce à la technologie numérique. La version avancée et la plus décriée des applications « Uber », la version « Uber Pop », est la plus aboutie, la plus « déréglementée », c’est en quelque sorte du libéralisme très pur, à l’état brut. Avec « UberPop », le seul arbitre c’est le marché, l’occasion qui fait le larron et qui permet à certains d’arrondir des fins de mois difficiles, à d’autres de profiter d’effets d’aubaine. D’un côté la liberté d’entreprendre sans formation, sans contrainte administrative, sans licence, sans formalisme, sans trop de frais, et de l’autre côté la possibilité de consommer à un tarif souvent beaucoup plus modique (mais qui, suivant la loi de l’offre et de la demande, peut être aussi beaucoup plus élevé). Ce sont ces petits clics pour casser le prix d’un marché réglementé qui ont abouti aux affrontements de la semaine, annonciateurs du grand choc que pourrait représenter pour la société française la prochaine concurrence des firmes américaines. Car la déréglementation pour développer le business, l’emploi, la compétitivité, l’innovation, correspond au discours tenu par les partisans d’une signature rapide du traité TAFTA et c’est, faut-il le rappeler, la position de François Hollande. Comme le déclare Thibaud Simphal, le directeur général d’Uber France, « Il faut avoir le courage d’examiner, secteur par secteur, ce dont nous avons besoin pour créer de la valeur, quitte à heurter certains corporatismes. » ajoutant qu’il « admire cet état d’esprit chez le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. »

Les désordres et les manifestations des taxis contre les services de la société Uber nous offrent un avant-goût des conséquences que pourrait avoir la signature du traité TAFTA. On imagine déjà les réactions, les litiges, les recours juridiques, les questions prioritaires de constitutionnalité déposées devant le Conseil constitutionnel ( La société Uber a déposé trois « QPC » contre la loi Thévenoud), la lenteur des procédures, voire même l’incapacité de la justice française à trancher dès lors que les recours à des arbitres privés auront été légitimés par des accords internationaux. On imagine sans peine que, pendant ce temps-là, la vie des affaires continuera, que la concurrence jouera, que le consommateur tranchera en privilégiant son intérêt à court terme, que les secteurs, les tarifs, les emplois réglementés, « protégés », soumis aux innombrables taxes sociales et environnementales, seront mis en accusation et mis à mal par les nouveaux compétiteurs américains.

Et le marché libre s’imposera.

En attendant, l’UE négocie avec les États–Unis, sans doute sous les grandes oreilles de la NSA, dans un esprit particulièrement constructif puisque, d’après la Commission qui tirait récemment le bilan d’une étude d’impact réalisée afin d’évaluer les effets qu’entraîneraient différents degrés de libéralisation des échanges, « il est apparu clairement que plus la libéralisation serait importante, plus le résultat global serait positif. »

Les politiciens peuvent bien nous assurer que notre modèle de société sera préservé. De fait, ce modèle de société est déjà mort, obsolète, dans leurs têtes.

Et l’Europe qui veut engager une compétition économique plus franche avec les USA par le biais du traité TAFTA n’est qu’un agglomérat d’états libéraux, sans projet politique commun, sans solidarité, totalement dépourvus de lucidité, prêts à humilier et sacrifier le peuple grec par dogmatisme. Les idéologues les plus fanatiques se recrutent souvent parmi les nouveaux convertis.

L’Europe, azimutée par l’idéologie libérale, n’est que l’addition de calculs égoïstes à court terme. Les petits États européens qui la composent seront mangés en ordre dispersé par l’ogre américain.