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Des semences paysannes pour les paysans syriens : un bel exemple de solidarité contre la guerre
Article mis en ligne le 9 octobre 2015
dernière modification le 3 octobre 2015

Sous la bannière de leur association Graines et Cinéma, Zoé et Ferdinand Beau parcourent le sud de la France pour construire un réseau de semeurs solidaires venant en aide aux paysans syriens, victimes du conflit qui ravage leur pays depuis quatre ans.

Des nattes colorées ont été superposées sur le carrelage froid. Des tableaux enfantins sur l’espoir de paix en Syrie ornent les murs. Près de l’écran géant flotte un drapeau de la révolution syrienne. Devant le jeune ingénieur agronome, la salle est fin prête. Au menu de ce soir, dans ce village de 300 habitants : récolte de graines pour la Syrie, projection de documentaires et discussions à prolonger dans la nuit. Des événements de ce type, Ferdinand et sa sœur aînée Zoé en ont organisé une trentaine au cours de l’été.

Dix-sept départements du sud de la France traversés, des milliers de kilomètres avalés dans leur camion et déjà des centaines de kilos de semences paysannes récoltées : ils affichent un joli bilan depuis leur départ de la région parisienne en juin. S’appuyant sur les réseaux de la Confédération paysanne, des Semences paysannes ou sur des initiatives informelles, les deux jeunes de 27 et 24 ans ont écumé les places de villages et les communautés. Avec un seul objectif : construire un réseau de semeurs français solidaires des cultivateurs syriens victimes de la guerre civile. (...)

Ancien grenier du Moyen-Orient, la Syrie est en proie à une insécurité alimentaire croissante. Selon la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), près de 10 millions de personnes vivent dans une situation critique, nécessitant une assistance alimentaire et agricole permanente. Dans les zones libérées de l’emprise du régime de Bachar el-Assad mais ravagées par les combats, les habitants en autogestion forcée cultivent des légumes pour survivre.
« Se réapproprier dans l’urgence la souveraineté alimentaire »

C’est le cas à Yarmouk, un camp de réfugiés palestiniens situé au sud de Damas et soumis, depuis deux ans et demi, a un état de siège meurtrier. Pour endiguer la famine qui décime les 18.000 habitants du quartier, des potagers ont poussé sur les toits. Ces jardins urbains qui ont fleuri sous les bombes sont à l’origine d’un appel du collectif syrien 15th Garden (le 15e Jardin) [en] aux cultivateurs européens pour alimenter des parcelles informelles aux quatre coins de Syrie.

Depuis 2013, 15th Garden coordonne ainsi des initiatives sur un territoire morcelé où l’accès aux graines est entravé par l’inflation des prix et par des décennies de planification agricole qui privait les paysans de la maîtrise de leurs semences. « C’est tout un savoir-faire paysan et un patrimoine naturel qui s’est perdu au fil des ans. Le conflit permet au moins à certains Syriens de se réapproprier dans l’urgence leur souveraineté alimentaire. Pour cela, il faut les aider », explique Ferdinand. (...)

« L’appel du 15th Garden a bien pris en Allemagne et en Grèce, où des tonnes de semences ont été données. De retour en France on s’est simplement dit : “Pourquoi ne pas essayer de constituer un réseau ici ?” » (...)

« Certaines organisations font parvenir aux Syriens des variétés hybrides et standardisées qui nécessitent une utilisation importante d’eau et d’engrais. Elles créent une dépendance, car le paysan doit racheter chaque année sa semence. À le voir comme ça, on pourrait croire que les multinationales de l’agroalimentaire se préparent déjà à mettre la main sur la Syrie de l’après-conflit », s’insurge Ferdinand.

Les variétés syriennes conservées par la Réserve mondiale de semences de Svalbard, en Norvège, seront quant à elles replantées… au Maroc et au Liban. L’Icarda (le Centre international de recherche agricole dans les zones arides) a sollicité « l’arche de Noé végétale » [en] pour reconstituer sa banque de graines détruite à Alep. Une première mais qui ne profitera pas aux Syriens.

Loin de cette absurdité ambiante, Graines et Cinéma recueille des semences paysannes méditerranéennes réputées résistantes et qui peuvent surtout être réutilisées chaque année. (...)

Salade, épinards, pois chiches ou encore blé, le frère et la sœur acheminent ces graines en toute illégalité. L’échange de variétés traditionnelles non inscrites au catalogue européen étant déjà formellement interdit, ces semences rustiques sont bannies par les douanes du monde entier. Ferdinand fulmine : « C’est un comble quand on sait que l’histoire de l’Humanité s’est fondée sur le voyage des graines. » Jusqu’à présent, ils ont fait appel à des voyageurs prêts à en mettre quelques kilos dans leurs bagages jusqu’au Liban et à la Turquie. Via des relais locaux de 15th Garden, les graines sont triées. Certaines sont données à des réfugiés syriens installés dans ces pays frontaliers. Le plus gros passe clandestinement la frontière pour arriver à Alep, Kobané, Deraa ou encore Yarmouk. (...)