
La désertion a le vent en poupe. L’appel à déserter au printemps dernier par les étudiants d’AgroParisTech a été vu plus de 12 millions de fois. Partout, des jeunes et des moins jeunes questionnent le travail. Et certains bifurquent pour inventer, ailleurs, une vie qu’ils et elles estiment plus riche.
Après notre enquête sur la grande démission, Reporterre revient, dans une série d’été, sur cette vague. Pour la questionner. Car il n’est pas si facile de tout plaquer. De changer de vie. De réinventer le travail, le quotidien. Quelques-uns y parviennent, certains galèrent, d’autres abandonnent. À travers des portraits et des entretiens, nous nous sommes demandés : comment faire de la désertion une lame de fond, un raz-de-marée ? (...)
Lola Keraron : « À 24 ans, j’ai déserté AgroParisTech » (...)
À sa remise de diplômes d’AgroParisTech en mai, Lola Keraron et d’autres étudiants ont appelé à déserter. Depuis, entre des chantiers participatifs ou un passage dans une zad, la jeune femme ne s’arrête pas. Sans rien regretter. (...)
Dans ce discours devenu viral, ces huit jeunes réunis au sein du collectif Des agros qui bifurquent affirment rejeter les « jobs destructeurs » auxquels leur école et le système capitaliste les destinent. Développement d’énergies dites « vertes », invention de labels soi-disant écolos, missions pour l’agro-industrie... Face à ces métiers « participant aux ravages sociaux et écologiques en cours », ils et elles ont préféré déserter et « chercher d’autres voies ». (...)
Ainsi, quand on la rejoint fin juillet au Jardin des plantes de Toulouse, où elle n’est que de passage avant d’aller dans les Pyrénées, Lola vient de participer à divers chantiers participatifs. (...)
« En école d’agro, on nous forme à devenir conseillers d’agriculteurs, alors qu’on est incompétents à faire pousser le moindre légume dans le sol. Cela crée un grand sentiment d’illégitimité. » (...)
Pour une « désertion accessible »
Son regard critique s’est affiné au gré d’expériences et surtout de rencontres. (...)
Pour l’heure, Lola Keraron ne sait pas ce qu’elle fera à la rentrée de septembre. Une idée lui trotte tout de même dans la tête : s’installer en collectif, et développer une activité agricole autour des plantes médicinales (un sujet qui la passionne, et sur lequel elle prépare avec une amie une série documentaire). Dans l’idéal, comme le dit le cinéaste Robert Guédiguian, elle voudrait continuer à faire du militantisme son mode de vie (...)
Lola Keraron ne loue plus d’appartement, elle est logée et nourrie en échange de son travail sur les chantiers participatifs. Elle n’a que très peu de dépenses et globalement pas de revenus, hormis quelques articles qu’elle vend parfois à des médias. Elle défend une écologie prenant en compte les oppressions de genre, de classe et de race, mais a conscience d’être « privilégiée ». Sa précarité est « choisie, pas subie » (...)