
La décision est courte. Mais ses effets sont explosifs : le Conseil d’État vient à l’instant de valider la demande de Question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Quadrature du Net, French Data Network et FFDN. C’est le cœur de la collecte des données de connexion qui est désormais mis en cause devant les yeux du Conseil constitutionnel.
Pour mémoire, une QPC permet à quiconque justifiant d’une raison sérieuse, de faire examiner la conformité d’une loi à la Constitution et aux autres textes fondateurs. Une procédure utile et autorisée lorsque le gouvernement et le Parlement a préféré zapper la case du juge constitutionnel après le vote d’une loi. Et c’est très exactement ce qui s’est passé en 2013 pour la loi de programmation militaire.
Mais quel est le souci ? Comme nous l’avons expliqué en sorti d’audience, lundi 1er juin, la Quadrature du Net, FDN et FFDN estiment que le texte est trop flou s’agissant de la définition du périmètre des activités de renseignement.
Trop de flous dans la surveillance du Net
Les agents de l’Intérieur, de la Défense et de Bercy peuvent en effet, sous couvert de poursuite de finalités aux contours déjà très vastes, aspirer sur « sollicitation du réseau », tous les « documents » et « informations » dans les tuyaux ou serveurs des acteurs du Net. Les requérants ont estimé sur ce point que faute de précision acquise lors des débats quant au champ de ces données de connexion, le législateur n’a pas épuisé la plénitude de ses compétences. Ou, sous un autre angle, il a laissé un champ d’action trop vaste dans les mains des services du gouvernement.(...)
À l’occasion de cette procédure, un autre souci a été mis en avant utilement par les demandeurs : quand ils aspirent des « informations et documents », les services vont pouvoir prendre connaissance du lien social tissé par des avocats ou des journalistes. Selon le rapporteur public, pour l’un, il est possible de « porter directement atteinte à la confidentialité des échanges entre un avocat et son client ou un de ses confrères – notamment en révélant l’existence, la fréquence, la durée et même la localisation des échanges téléphoniques et numériques entre ces derniers ». Pour l’autre, « le risque de révélation de leurs sources par le recours aux données techniques de connexion est cette fois parfaitement direct. »
Aujourd’hui, le Conseil d’État a jugé que l’ensemble de ces questions présentait bien un caractère sérieux quant à leur conformité face à l’ensemble des droits et libertés garantis par la Constitution, « en particulier au droit au respect de la vie privée, au droit à un procès équitable et à la liberté de communication ». Jouant son rôle de filtre, il considère que la QPC de la Quadrature, FDN et FFDN doit donc être transmise au Conseil constitutionnel.
L’effet ricochet avec le projet de loi Renseignement
Cette procédure est particulièrement importante puisqu’elle va aussi impacter le projet de loi sur le renseignement, dont les sénateurs ont terminé hier l’examen. Pourquoi ? Car les sondes, les IMSI-catcher, les boites noires, bref tout l’attirail de technosurveillance qu’il consacre s’appuie sur ces notions « d’informations et documents ». C’est l’essence du moteur « renseignement » ! Les problématiques sont donc répliquées le plus parfaitement possible.
En clair, donc, une éventuelle réserve d’interprétation voire une censure d’une des dispositions de la LPM pourrait impacter la future loi sur le renseignement.(...)