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Mediapart
Vidéosurveillance algorithmique : Briefcam bousculé devant le tribunal administratif de Grenoble
#vieosurveillance #technopolice #algorithmes #CNIL
Article mis en ligne le 24 décembre 2024
dernière modification le 22 décembre 2024

Le tribunal examinait un recours demandant l’annulation de la décision d’installation du logiciel de vidéosurveillance algorithmique par la ville de Moirans. Saisie, la Cnil estime illégal son usage par les policiers municipaux. La rapporteure publique soutient la requête, mais a ouvert la voie à une régularisation de la situation.

La rapporteure publique du tribunal administratif de Grenoble a prôné, lors d’une audience qui s’est tenue vendredi 20 décembre, l’annulation de la décision de la ville de Moirans d’utiliser le logiciel de vidéosurveillance algorithmique de la société Briefcam.

« Il ne fait aucun doute que le logiciel Briefcam a été installé » sur le réseau de vidéosurveillance de la commune, a-t-elle affirmé, en écartant l’argument de la mairie affirmant qu’elle n’avait pas acquis l’option permettant d’utiliser les fonctionnalités de reconnaissance faciale qui n’a donc jamais été utilisée.

Dans la mesure où ces options sont simplement disponibles, la mairie doit en effet offrir certaines garanties, et le tribunal ne peut se satisfaire de sa seule parole. En faisant comme si la possibilité de les activer n’existait pas, « on laisserait sans juge une mesure pouvant avoir des effets importants sur les droits des administrés », a poursuivi la rapporteure publique, dont le rôle est de présenter de manière indépendante des conclusions censées éclairer le tribunal mais ne liant pas celui-ci. (...)

Et même si l’option de reconnaissance faciale ne semble pas avoir été acquise par la municipalité, des récentes constatations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) montrent que le logiciel est bien utilisé, par des gendarmes et des agents municipaux, pour identifier un objet, un véhicule ou une personne, par exemple grâce à ses vêtements, et pour la suivre de caméra en caméra.

« Le logiciel procède à une analyse des images, par un système de filtres. Elle procède donc à un traitement de données personnelles », a-t-elle affirmé. Et celui-ci permet bien « l’identification directe ou indirecte de personnes », même sans recours à la reconnaissance faciale. (...)

Comme l’avait raconté Mediapart, jeudi 5 décembre la Cnil avait révélé avoir mis en demeure six communes en raison de manquements constatés dans l’utilisation du logiciel Briefcam. (...)

un mois après que le site Disclose a révélé que le ministère de l’intérieur et huit municipalités avaient recours aux services de la société BriefCam.

La Cnil ne donnait pas les noms des municipalités concernées. Mais, sans surprise, la commune de Moirans, dont l’usage de Briefcam avait déjà été documenté notamment dans un reportage de Mediapart de mai 2022, faisait partie de cette liste.

Usage « en temps réel » et usage « en différé »

La commission a donc versé ses observations au dossier examiné par le tribunal administratif de Grenoble, qui avait été saisi d’une demande d’annulation de la décision de Moirans de recourir à Briefcam déposé par l’association de défense des libertés La Quadrature du Net et par un de ses juristes, Bastien Le Querrec, par ailleurs habitant de Moirans. La Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France s’étaient par la suite joints à la procédure. (...)

« Il est triste de voir la Cnil abandonner tous les principes du droit des données personnelles pour reprendre à son compte l’argumentation alambiquée du ministère de l’intérieur, alors que ni la lettre ni l’esprit des textes invoqués ne viennent lui donner raison, réagit auprès de Mediapart Bastien Le Querrec. Avec Moirans, la CNIL va encore plus loin et blanchit, avec le même argumentaire bancal, l’usage illégal de la VSA par les communes pour rechercher des personnes en fonction de leur apparence physique sur demande de la police, ignorant délibérément le fait que cela consiste en un traitement de données biométriques particulièrement attentatoire aux libertés fondamentales. » (...)

Lors de l’audience, la rapporteure publique est allée plus loin dans la critique du manque de transparence de la municipalité. Selon elle, cette absence totale de communication ne permet pas de savoir quelles garanties ont été prévues pour les droits des citoyens, ni même de savoir si la ville a activé ou non telle ou telle fonctionnalité du logiciel.

« Faute de texte », « faute d’avis de la Cnil », « on ne connaît pas les garanties apportées », a souligné la rapporteure publique. Et face aux questions posées par l’instruction, « la commune apporte des réponses générales et stéréotypées », a-t-elle regretté.

Ainsi, si la rapporteure a demandé l’annulation de la décision de déployer le logiciel Briefcam, qualifié de traitement de données « excessif, inadéquat et sans lien avec la finalité poursuivie », elle n’a pas fermé la porte à son utilisation encadrée. « Il conviendra d’adopter un règlement interne d’utilisation », a-t-elle ainsi avancé.

Le problème est que, comme l’a soulignée l’avocate de Moirans, Me Manon Leroy, ce « règlement interne d’utilisation » n’est pas prévu par la loi. « Aucune disposition législative, n’impose de le mettre en place », a-t-elle plaidé. Au cas où le tribunal administratif devait suivre les conclusions de la rapporteure publique et demander la création de ce règlement, Me Leroy a demandé à ce que soit accordé « un report d’instruction », un délai permettant à Moirans de rédiger ce document et ainsi, éventuellement, de régulariser sa situation.

L’avocate a par ailleurs reconnu l’usage fait par la police municipale de Briefcam, tel que dénoncé par la Cnil. Mais « une telle remontrance n’est pas de nature à entacher toute l’utilisation du logiciel. Elle ne devrait s’appliquer qu’à l’égard de cette mauvaise utilisation », a avancé Me Leroy.

Le tribunal administratif de Grenoble doit rendre sa décision dans les jours à venir.