
Bienvenue au monde de la realpolitik, où le jeu des grandes puissances émergentes n’a rien à envier au cynisme dont ont fait preuve, historiquement, les maîtres du monde d’hier. Ce monde s’est dessiné sous nos yeux samedi soir, au Conseil de sécurité de l’ONU, avec le double véto chinois et russe à une résolution sur la Syrie.
Le double véto a tué le texte sur les massacres syriens pourtant soutenue par les treize autres membres de la plus haute instance des Nations Unies.
Le projet de résolution soutenait le plan de la Ligue arabe qui prévoit la mise à l’écart du président syrien Bachar al Assad, et dénonçait les violations des droits de l’homme commises par le régime syrien.
(...) Cet échec diplomatique prive la communauté internationale de tout levier légal pour peser sur la situation intérieure en Syrie, qui a vu une accélération de l’ampleur des massacres ces derniers jours, avec l’emploi d’armes lourdes contre les manifestants à Homs, ou le déploiement de chars dans les environs de Damas. (...)
Vu de Pékin et Moscou, les Occidentaux les ont roulés dans la farine, utilisant une résolution destinée à « protéger les populations civiles » pour renverser un régime légal et reconnu. A aucun moment, en effet, la résolution 1973 que Pékin et Moscou ont laissé passer sans véto, n’autorisaient l’armement des rebelles, ou le rôle plus actif qu’il n’a été admis, des armées étrangères dans le renversement du pouvoir de Kadhafi.
Ce marché de dupes de 2011, qui a donné à l’Otan une de ses plus éclatantes victoires militaires de son histoire, sans la moindre victime dans ses rangs, sert de leçons aux dirigeants chinois et russes qui continuent d’observer la planète en termes de rapports de force. (...)
Ils ont marqué samedi leur refus de voir se répéter, un an plus tard, le même scénario avec une résolution aux apparences anodines, mais qui ouvrait la voie à une ingérence bien plus grande dans les affaires intérieures d’un Etat souverain, vieux « client » de Moscou de surcroit dans le cas des Russes. La question des massacres n’intervenant que très secondairement dans l’analyse de la situation. (...)
« N’autorise pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » : c’est en quelque sorte le principe qui dicte la brutalité du véto chinois et russe au projet de résolution en Russie
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Le prix à payer pour Pékin et Moscou ne sera pas tant en interne -seuls les opposants convaincus et politisés seront choqués- que dans les opinions publiques occidentales et arabes, abreuvées d’images des massacres de Syrie, et qui ne comprendront pas que ces deux grands pays se rangent du côté du bourreau. La Chine et la Russie peuvent vivre avec cette impopularité-là. (...)