
Google a annoncé jeudi qu’il faisait appel de sa condamnation par la Cnil, qui lui reproche une mauvaise application du droit à l’oubli. Mais les arguments publics de Google déforment les termes du débat.
C’était attendu et il est même surprenant que l’officialisation intervienne si tard. Jeudi, c’est par une tribune publiée dans Le Monde que Google a annoncé avoir interjeté appel contre sa condamnation par la Cnil qui lui reproche une mauvaise application du droit à l’oubli, conformément à la position prise par l’ensemble de ses homologues européennes.
Depuis l’arrêt Google Spain du 12 mai 2014, la justice européenne considère que les Européens ont le droit à ce que des résultats qui affichent des éléments de leur vie privée ne soient plus visibles sur le moteur de recherche. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait en effet estimé que l’indexation des pages Web qui contiennent des informations privées constituait un « traitement de données personnelles », et qu’à ce titre les Européens disposaient du « droit d’opposition et de rectification », traduit en France par la loi informatique et libertés de 1978. (...)
À ce jour, Google a donc reçu des demandes de suppression de 1,5 millions d’URL, et a accepté moins de la moitié d’entre elles. En France, Google a reçu des demandes concernant un peu plus de 306 000 pages web, et a consenti l’effacement pour 49 % d’entre elles. soit un peu plus de 150 000 résultats.
Il est important de comprendre que ces URL sont effacées exclusivement dans les résultats des recherches qui portent précisément sur le nom de la personne concernée. Ils restent dans l’index de Google et peuvent toujours être accessibles par d’autres requêtes plus indirectes, ce que la Cnil n’a jamais reproché à Google. (...)
Google a accepté de censurer les résultats sur toutes les recherches effectuées depuis l’Union européenne, en faisant une application territoriale du droit à l’oubli. Il s’applique en Europe, et en Europe seulement. Or ce que la Cnil reproche à Google, c’est de ne pas accepter l’idée que le « droit à l’oubli » est un droit personnel qui est attaché à chaque individu en Europe, et que ce droit reconnu par l’Union européenne à ses concitoyens, imposé par la Charte des droits fondamentaux (article 8), s’exerce par l’individu à l’égard du monde entier. (...)
Walker fait croire au public que le droit à l’oubli viserait à faire disparaître une « information illégale » et que cette « information illégale » en Europe pourrait être légale ailleurs dans le monde. Mais c’est tout simplement faux et manipulateur. Ce n’est pas du tout l’information référencée qui est illégale en elle-même. Elle est légale partout. Ce qui est illégal en revanche, c’est le fait pour Google de continuer à afficher une donnée personnelle d’un Européen alors que l’Européen qui bénéficie d’un droit à l’oubli a demandé à ce qu’elle soit supprimée. Et ça, aux yeux de la Cnil, ça devrait rester illégal partout dans le monde, parce que le droit de l’Européen n’est pas limité aux frontières de l’Union européenne.
Il faut donc relire la tribune pour voir à quel point Google tente de déformer le débat en faisant semblant de ne pas en comprendre les termes (...)
L’application mondiale d’une loi ? Non, l’application mondiale d’un droit (...)
La France ne demande pas que les droits des Américains soient modifiés, et que leur soient reconnus à eux un droit à l’oubli. Elle demande, par la Cnil, que les droits des Français soient reconnus et protégés y compris aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Ce n’est pas à ce point déraisonnable, et c’est même démocratiquement juste. (...)
En réalité, Google procède à une inversion accusatoire. Il prétend que la Cnil exige l’application mondiale d’un droit, alors que Google demande surtout l’application mondiale d’une violation d’un droit.