
« Séduire la jeunesse », annonce le Président Macron, et pour cela que faire ? Etendre le RSA aux moins de 25 ans ? Donner plus de moyens aux facs ? Renoncer à la réforme de l’assurance chômage ? Rien du tout. Le plan se résume à un « concours d’anecdotes » avec des « youtubeurs ». L’occasion, pour nous, de remettre en ligne cet article décortiquant ce qui s’apparente, au-delà du mépris sans borne de ces opérations de com, à une véritable présidence anti-jeunes.
Les jeunes n’ont jamais les tenues qu’il faut. Leurs jupes sont trop courtes, leurs blousons trop noirs, leurs tee-shirts trop moulants ou leurs joggings trop larges. À la rentrée dernière, la sortie de Jean-Michel Blanquer contre les crop tops semblait n’être qu’un épisode de plus de la longue histoire du ressentiment adulte envers la manière dont les jeunes s’habillent et parfois rejettent les codes de leurs aînés pour en inventer d’autres.
Elle était pourtant particulièrement hallucinante. Alors que, en 2020, le spectacle de femmes en partie dénudées, et généralement dénudées pour servir d’appât commercial, n’émeut pas grand monde, n’y avait-il pas d’autres sujets de préoccupations que des nombrils et des bouts de dos à l’air ? Une pandémie par exemple.
La réponse réside sans doute dans la préconisation qui accompagnait cette réprobation d’un autre âge : les élèves devraient, rappelait, l’œil froncé, le Ministre de l’Education nationale, adopter des « tenues républicaines ». Le rappel à l’ordre vestimentaire se voulait au fond rappel à un ordre politique réduit à des règles venues d’on ne sait où, mais d’en haut en tout cas, et surtout jamais questionnables.
Tout un symbole pour Emmanuel Macron qui faisait campagne en 2017 sur sa « jeunesse » et sa « modernité », mais qui s’est avéré très vite obsédé et terrorisé par le désordre et la contestation. De l’indécence des crop tops au « fascisme » de l’UNEF (dixit là encore Blanquer), rarement les jeunes auront servi à ce point de repoussoir.
Du paternalisme…
Sous Macron, c’est un mépris de plus en plus marqué, puis une phobie, qui s’est exprimée à l’égard des jeunes, de leurs inquiétudes et de leurs revendications, en premier lieu en ce qui concerne les questions environnementales. (...)
Et pourtant : qui est responsable, qui est irresponsable ? Au-delà du singulier trompeur de la jeunesse, s’il y a bien quelque chose qui produit une unité en son sein, c’est la certitude très raisonnable qu’elle vivra des catastrophes climatiques. Étrangement, alors que cette clairvoyance est à la source des mobilisations les plus intéressantes des dernières années, ceux qui courageusement les animent sont ramenés à une position de mineurs priés d’attendre, de se taire et d’écouter leurs ainés. Et surtout de ne pas se plaindre.
L’accusation d’irresponsabilité a également servi d’utile diversion à la rentrée dernière, quand la recrudescence des contaminations par le coronavirus pouvait raisonnablement être attribuée à l’inaction du gouvernement depuis la fin du premier confinement. Les hordes de jeunes, qui auraient passé leur été entier à faire la fête, et à se regrouper par milliers dans des raves, se seraient, en toute désinvolture, contaminés, et auraient contaminé les autres, mettant en péril la santé de la nation.
Le Covid : la faute aux jeunes. (...)
Les causes qui, depuis des années, mobilisent la jeunesse sont traitées par le mépris – mais un mépris qui s’est accompagné, de plus en plus, d’une violence rare. L’une de ses manifestations les plus choquantes fut sans doute le refus d’étendre le RSA aux moins de 25 ans : quand la guerre aux jeunes se confond avec la guerre aux pauvres.
Mais cette hostilité est aussi proportionnelle à l’exaspération suscitée par cette évidence : la conscience environnementale, mais aussi les sensibilités féministes et anti-racistes ne cessent de gagner du terrain pour former, chez une partie croissante de la jeune génération, des évidences [1]. Les grands enfants sont devenus des ennemis dangereux. (...)
En octobre 2020, lors d’une rencontre organisée par la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France, la secrétaire d’État à la jeunesse Sarah El Haïry faisait face à des jeunes qui, très poliment, ont questionné l’interdiction du voile à l’école et lui ont rappelé la réalité des violences policières.
Si l’on en croit un sondage, la conception que les jeunes se font de la laïcité est très fidèle à la loi de 1905 (c’est-à-dire une séparation du religieux et du politique dans le respect de la liberté de conscience). Ils sont moins nombreux à penser que la laïcité, c’est avant tout « faire reculer l’influence des religions dans notre société » (position tout à fait contraire à l’esprit de 1905), et pensent plutôt que ce principe implique de « mettre toutes les religions sur un pied d’égalité ».
En fait, comble de l’insolence, ils sont très sensibles à la question de l’égalité de traitement.
La réponse fut cinglante. (...)
« Il faut aimer la police », pour finalement entonner La Marseillaise et diligenter une enquête contre les organisateurs de la rencontre. (...)
Puis les résultats du sondage paru plusieurs mois après ont fait l’objet d’une complète réécriture. Alors que les jeunes s’avéraient tout à fait républicains, bien plus que leurs ainés, en vérité, on les a accusés de succomber à une vision « à l’américaine », « imparfaite » ou encore « lénifiante » de la laïcité. (...)
Face à une jeunesse rétive à l’autoritarisme et à l’arbitraire, le gouvernement fait monter la pression. Instrumentalisant la polémique née à l’IEP de Grenoble, il est venu construire de toutes pièces un autre de ces faux problèmes : les réunions non mixtes. Un mode d’organisation pourtant très répandu dans le monde syndical et jusque dans les mouvements féministes a été érigé en cheval de Troie des ennemis de la République. Et le syndicat étudiant UNEF, assumant cette pratique, est devenu le nouvel ennemi intérieur.
Aux appels à la dissolution, personne, à l’Élysée, n’a trouvé à redire. Au gouvernement, il s’est même trouvé un ministre, Jean-Michel Blanquer, pour dénoncer la pente « fasciste » que prendrait ce syndicat, qui depuis des décennies accompagne les mobilisations étudiant-es, et jusqu’il y a peu était très courtisé pour cela.
Aujourd’hui, toute une « génération » se trouve accusée de saper la République, et ridiculisée dans ses revendications : une « génération offensée » comme l’écrit Caroline Fourest qui dénonce avec morgue « ces étudiants qui s’offusquent à la moindre contradiction ». Un comble, de la part d’une professionnelle du monologue, et de la mise hors-jeu de toute contradiction. (...)
Macron pense peut-être qu’il « fait jeune » quand il donne une interview au média Brut, mais il n’empêche : c’est un président aujourd’hui confiné dans un imaginaire napoléonien, nationaliste, profondément de droite et profondément… vieux.
Sa politique de commémoration dessine par exemple une team de grands hommes réactionnaires, d’écrivains moisis, et de chefs d’État criminels. Mais, depuis la mort de Max Gallo, qui donc Napoléon fait-il rêver aujourd’hui ? À part Laurent Joffrin, Pierre-Jean Chalençon et toute la droite extrême, de Causeur à Valeurs actuelles et La revue des deux mondes ? (...)
Il incarne, à des niveaux inégalés depuis le Sarkozy des années Buisson, l’esprit de sérieux contre le goût de la fête, la grandiloquence creuse, les réflexes de « white boys’ club », et surtout la haine de la révolte, de la colère et de l’impatience.
Il y a une cinquantaine d’années, ces ingrédients, et quelques autres, ont produit une des déflagrations les plus intéressantes du XXème siècle : mai 68.