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CQFD
Du baston dans la taule !
Article mis en ligne le 31 mars 2014
dernière modification le 26 mars 2014

Quelques mois après la publication d’une enquête du Contrôleur général des lieux de privation de liberté révélant l’état désastreux et la surpopulation des prisons dans la France du XXIe siècle, trois documents viennent rappeler les révoltes anticarcérales du début des années 1970 : Prisonniers en révolte (éditions Agone) de la sociologue Anne Guérin – interviewée ci-dessous par CQFD – La Révolte de la prison de Nancy – 15 janvier 1972 (éditions Le Point du Jour) et le documentaire de Nicolas Drolc, Sur les toits (Les mutins de Pangée).

Nous ouvrons une série d’articles sur cette réalité carcérale dont le scandale mérite aujourd’hui une plus grande publicité. En écho à l’esprit des mutins de 1972, Philippe Lalouel, taulard séropositif qui a déjà passé vingt-six ans en prison pour des braquages et des évasions sans violence, a écrit récemment à la garde des Sceaux : « Je ne veux pas survivre, je ne veux pas mourir en prison, je veux vivre libre. » Respect. (...)

CQFD : De quoi parle votre livre et quelle thèse défendez-vous ?

Anne Guérin : Je parle des révoltes des détenus des années 1970, en France. Si j’ai une thèse à défendre, c’est que, contrairement à une opinion largement répandue, les prisonniers sont des êtres humains et qu’ils ont, à ce titre, le droit à la parole et au respect. La parole leur est souvent confisquée.

Mai 68 aurait préparé les mutineries de 1972-1974 ? Comment ?

La France s’est livrée en 1968 à une vaste contestation de l’autorité. Celle-ci a gagné, avec trois ans de retard, les prisons elles-mêmes. En 1968, de futurs prisonniers, alors libres ont participé à des mouvements de révolte. Comme Serge Livrozet, qui occupa la Sorbonne ! Certains, notamment ouvriers, se sont retrouvés en prison pour cette raison.

Les autorités faisaient tout, à l’époque, pour isoler les détenus de la société. En 1968, les prisonniers n’avait pas le droit de recevoir des journaux, ni d’écouter la radio. Mais ces murs sont toujours poreux. Les prisonniers fabriquaient des radios clandestines. Début 1970, après le travail militant effectué par les maoïstes, eux-mêmes envoyés en prison, est créé le Groupe d’information prison (GIP) par Michel Foucault qui s’est efforcé de faire sortir de prison une grande quantité de témoignages de détenus. Démarche absolument novatrice, inouïe même, à l’époque. Parallèlement, le Comité d’action prison (CAP) composé de prisonniers et d’anciens prisonniers, a publié un mensuel tout simplement intitulé Le CAP qui a duré dix ans et a pu avoir un tirage de 5 000 exemplaires en 1974 et 1975. (...)

Les prisonniers étaient souvent issus de la classe ouvrière à l’époque. Aujourd’hui encore ?

De nos jours, ils sont moins issus de la classe ouvrière parce que la classe ouvrière a rétréci comme peau de chagrin et ce qu’il en reste est peu enclin à la révolte politique. Aujourd’hui, plus de 80 % des prisonniers sont issus de l’immigration maghrébine ou subsaharienne et sont chômeurs.

Une phrase de votre livre prononcée par un parent de détenus dit : « Se révolter ça les a libérés. » Est-ce que ça veut dire aussi que lorsqu’on est libéré de prison, on n’est toujours pas libre…

Même hors des murs, on n’est toujours pas libre, en effet, parce qu’on traîne derrière soi le statut d’ancien prisonnier comme un boulet. Pas d’embauche. Plus de logement, de vie familiale souvent, pas de soutien de l’état-providence (ou ce qu’il en reste), pas de diplômes. On n’est pas libre dans sa tête non plus. Pas libre de reconstruire sa vie « honnêtement ». Plus de la moitié des prisonniers « libérés » n’a d’autre choix que de renouer avec la délinquance. Parce que rien n’est fait pour les réintégrer durablement dans notre société.

Quel est le travail de l’Observatoire international des prisons dont vous êtes membre ? (...)