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IRIN - nouvelles et analyses humanitaires
Du danger de combattre le feu par le feu
Article mis en ligne le 31 août 2016
dernière modification le 30 août 2016

Les habitants de Beni, à l’est de la République démocratique du Congo, en ont assez des massacres. Indignés par l’incapacité de l’armée à les protéger contre d’obscurs groupes armés, certains forment secrètement leurs propres unités d’autodéfense.

Mais c’est une décision à ne pas prendre à la légère. La dernière chose dont la République démocratique du Congo (RDC) a besoin, c’est de nouvelles milices, et des voix s’élèvent au sein de la communauté pour appeler à la prudence.

« Les jeunes ont compris qu’ils ne peuvent pas rester les bras croisés face aux assassins que l’État et ses partenaires ne savent plus comment arrêter », a dit Jean-Paul Ngahangondi, coordinateur national de la Convention pour le respect des droits de l’homme (CRDH), une ONG basée à Beni.

Mais « il y a un danger », a-t-il dit. « Le risque est de recourir à n’importe quel moyen [et d’aboutir à la création] de nouveaux groupes armés. »

Les habitants de Beni sont encore sous le choc de l’attaque du 13 août, la dernière en date : des hommes non identifiés ont lancé un raid contre Rwangoma, un quartier de la périphérie de Beni, et assassiné plus de 50 personnes à la machette — dont des enfants et des femmes.

L’association culturelle Kyaghanda Yira (les Yira — ou Nande — forment le groupe ethnique majoritaire de la province du Nord-Kivu) a dit que l’attaque, la plus meurtrière à ce jour, porte à plus de 1 500 le nombre de civils tués depuis octobre 2014.

« Le génocide n’est pas près de s’arrêter. Alors que des civils innocents sont exécutés, le gouvernement congolais échoue à prendre des mesures préventives ou de représailles », a dit Jules Vahikehya, le secrétaire général de Kyaghanda Yira (...)

Le gouvernement accuse les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), un groupe rebelle islamiste entretenant des liens avec l’Ouganda, d’être à l’origine des violences. Mais d’aucuns affirment que ce n’est pas si simple. Derrière le récit d’une menace islamiste, il existe des preuves d’une implication de l’armée congolaise et de liens potentiels avec des réseaux de contrebande. (...)

L’armée congolaise n’est pas la seule à être critiquée pour son action. La Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC, la MONUSCO, est elle aussi sévèrement condamnée.

« Nous ne comprenons plus l’attitude de la communauté internationale, ces grandes puissances, ces puissantes organisations internationales », a dit Mbindule Mitono, député national du Nord-Kivu et membre influent de l’Union pour la nation congolaise, le deuxième parti d’opposition du pays.

« Nous comptons les morts par milliers, mais ils [les Nations Unies] n’interviennent toujours pas comme ils le font ailleurs, au Mali, en Libye ou en Syrie par exemple, où ils sont engagés dans la lutte contre le terrorisme. » (...)

Le 17 août, au terme des trois jours de deuil national décrétés par le gouvernement en hommage aux victimes du massacre de Rwangoma, à Beni des groupes d’étudiants ont lancé un ultimatum de trois jours à la MONUSCO pour quitter le pays.

« La MONUSCO a démontré son incapacité à protéger les civils », a déclaré Riginal Masinda, le porte-parole des étudiants de Beni.

« La communauté internationale doit reconnaître le caractère génocidaire des massacres de Beni afin de prendre les mesures nécessaires pour éviter une escalade de situation comme au Rwanda », a dit Franck Mukenzi, un dirigeant du conseil local de la jeunesse au Nord-Kivu.

En lieu et place des soldats de maintien de la paix des Nations Unies, il prône une intervention sur le modèle de l’opération Artémis, une mission menée sous l’égide de l’Union européenne en 2003 pour mettre fin aux violences perpétrées par des milices ethniques dans le nord-est de la province de l’Ituri.

Un « cercle infernal »

Nourrie par un sentiment de colère et d’abandon, l’idée d’une prise d’initiative de la communauté pour assurer sa propre défense gagne du terrain à Beni, où des groupes commencent à émerger.

Certains ne sont pas armés et se donnent pour seule mission de pister les insurgés. Mais au moins un groupe, du nom de Mazembe, a été fondé dans le but de répliquer, a dit à IRIN un étudiant en droit de l’université catholique du Graben à Butembo. (...)

L’émergence de nouveaux groupes armés rappelle à certains une sombre période de l’histoire de l’est du Congo, lorsqu’une multitude de prétendues unités de défense ethniques s’en prenait à la population.

D’après Nicaise Kibel Bel’Oka, qui dirige le Centre de recherche et d’études géopolitiques dans l’est du Congo, « entraîner les jeunes dans la logique de ces groupes d’autodéfense, c’est plonger la région dans une nouvelle crise ». (...)