
Dans “Sois jeune et tais-toi”, la journaliste entend lutter contre le bashing anti-jeunes dans les médias. Elle démontre dans une riche enquête que, face aux crises actuelles, la jeunesse reste impuissante sans le ralliement des aînés.
Par un argumentaire précis, elle démonte les préjugés qui collent à la peau des jeunes – comprendre les personnes âgées de 18 à 29 ans, d’après la définition de l’Insee. Ni « critique acide des boomers », ni « typologie morale douteuse des générations », l’enquête, sourcée – témoignages, chiffres, études –, est un appel pour entendre la voix des jeunes, confrontés en première ligne au chômage, à des politiques publiques insuffisantes et au changement climatique. Malmenée entre autres par la crise du Covid, la jeunesse souffre aujourd’hui d’un pessimisme « historique », et se montre bien en peine de rêver, de se projeter. Rencontre avec l’une de ses porte-paroles les plus tenaces, qui se sert de son indignation comme moteur. (...)
" Les jeunes sont les premiers abonnés aux emplois précaires – stage, apprentissage, statut d’auto-entrepreneur, intérim, CDD. On a tellement de statuts aujourd’hui qu’on ne sait plus quoi en faire. Si seulement 17 % des jeunes étaient touchés par la précarité de l’emploi dans les années 80, où l’intérim et les CDD étaient quasi inexistants, 52,6 % d’entre eux le sont aujourd’hui. Ceux qui leur reprochent de ne pas vouloir travailler n’ont souvent pas connu ce type de statut. Les personnes âgées oublient ce que veut dire vivre sans CDI, avec cette peur permanente du lendemain, cette incertitude difficile à vivre. Quand on dit aux jeunes qu’ils ne font rien, c’est omettre la différence de contexte économique, puisque ces personnes plus âgées ont évolué dans un contexte économique très favorable de croissance infinie, de plein-emploi. La génération née lors du baby-boom a ainsi connu en partie une parenthèse enchantée, un contexte que l’historien Jean-François Sirinelli qualifie des « 4P » : progrès, prospérité, plein-emploi, paix. C’est à cause du contexte actuel que je trouve l’accusation de paresse insupportable. (...)
Actuellement, les personnes les plus déconnectées de la réalité sont celles qui croient que le modèle productiviste peut être tenable, malgré les avertissements des scientifiques. (...)
Les pouvoirs publics ne mènent pas de politiques d’ampleur pour la jeunesse. Dans Libération, le sociologue Camille Peugny, spécialiste des inégalités, s’est exprimé pour fustiger le projet de généralisation du service national universel (SNU) – un « séjour de cohésion » de douze jours, en uniforme et sans téléphone portable –, qui relève, selon lui, d’un fantasme de vieux. On a tellement de besoins urgents qu’il paraît fou d’investir autant dans ce type de projet. Aujourd’hui, les jeunes représentent la moitié des personnes qui vont aux Restos du cœur chaque mois. La jeunesse est tellement surreprésentée dans des situations d’extrême précarité, qu’il faut revoir les priorités. Rappelons que 10 millions d’euros pour les banques alimentaires en faveur des étudiants ont été avancés, contre 2 milliards par an pour le SNU. Ces politiques ne répondent pas aux problèmes structurels qui consument la jeunesse.
Que faire, concrètement, pour sortir de ce « défaut de solidarité intergénérationnelle » ?
Les jeunes sont dépendants des décisions des plus âgés et vont devoir gérer les conséquences futures des crises actuelles. Pour y faire face, le ralliement des générations est une nécessité. (...)
Les auteurs du troisième volet du dernier rapport du Giec ont affirmé l’absolue nécessité d’une rupture avec un système productiviste. Aujourd’hui, les jeunes ne peuvent pas seuls faire face à ce défi. Ils sont pieds et poings liés aux générations précédentes. Car l’urgence est absolue : cette révolution ne peut pas attendre que ces jeunes soient aux manettes de l’économie, de l’industrie et de la politique. Il est indispensable que nos aînés, notamment les plus riches, les plus influents, soutiennent dès maintenant ceux qui ont déjà saisi l’ampleur du problème. L’union des générations est la condition de préservation de notre avenir."
Sois jeune et tais-toi ! Réponse à ceux qui critiquent la jeunesse, éd. Payot & Rivages, 320 p., 19,90 €.