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Street Press
Ils ont menti sur leur CV pour échapper aux discriminations
#discriminations #travail #racisme
Article mis en ligne le 3 octobre 2025
dernière modification le 28 septembre 2025

Stages modifiés en CDD, expériences inventées, changement de prénom ou d’adresse… Des jeunes diplômés racontent avoir menti sur leur CV pour trouver un emploi plus facilement et contourner les discriminations pour sortir de la précarité. Témoignages.

Pour Ismaël, mentir n’a jamais été une option. À 31 ans, après un burn-out, il quitte la direction d’un lieu queer emblématique des nuits parisiennes qu’il a cofondé. Motivé à retrouver un travail en tant que coordinateur de projets dans le monde du spectacle, il envoie plus de 120 candidatures en un an, à travers toute la France. Aucune réponse. « Je me disais : “Je ne vais jamais y arriver”. » C’est là qu’il passe au « testing » — changer de nom sur son CV. Ismaël devient « Julien Fauché ». « Soudainement, j’ai eu trois entretiens dans la même semaine », dit-il. Ismaël comprend que ces refus n’ont rien à voir avec ses expériences ou ses compétences mais avec son origine maghrébine : « Ça a été douloureux. »

Fatma, une Lilloise de 29 ans, a depuis longtemps enterré son prénom pour trouver un job. (...)

Elle efface aussi de son CV le nom et la localisation de son lycée. « Je trouve qu’il indique trop ma provenance sociale », explique celle qui souhaite à tout prix accéder à la classe supérieure. Sur le papier, elle s’invente des activités sportives « chères », réservées « à l’élite », comme le tennis ou l’équitation. Elle n’y connaît pourtant rien. (...)

La discrimination raciale est le premier motif de discrimination à l’embauche selon le baromètre de 2021 du Défenseur des droits qui y est consacré. StreetPress a échangé avec une dizaine de diplômés âgés de 22 à 35 ans ayant menti sur leur CV. Certains transforment des stages en contrat ou s’inventent des compétences pour sortir de la précarité. Tous dénoncent les difficultés, la pression pour trouver un travail en tant que « jeune sorti d’école » et les discriminations sociales et raciales.

Changer ses stages en contrat (...)

Sortir de la précarité

« Au début, j’étais honnête et gentil. Mais ça ne marchait pas, j’ai commencé à changer la réalité », plaisante amèrement Ethan (1). À 18 ans, il fait sa rentrée à l’université et cherche un job alimentaire. Face aux difficultés d’être recruté sans expérience, il s’invente des jobs en hôtellerie et dans la restauration. Il est embauché dans la foulée. (...)

Le fabulateur part à Londres « sur un coup de tête », et alors qu’il n’a qu’une licence d’anglais et n’a jamais enseigné de sa vie, il s’invente des expériences et devient prof de français. « Je crois que j’ai le syndrome de l’imposteur », souffle-t-il. Ironie du sort, Ethan se découvre une vocation pour le métier : il est officiellement professeur d’anglais contractuel dans un lycée, dans le Sud de la France.
Trouver sa place

Emma, la chargée de prod dans l’audiovisuel culpabilise de devoir mentir. Ce sont ses amis du milieu qui l’ont encouragé car « tout le monde le fait ». Elle dénonce : « Les emplois “juniors” sont remplacés par des offres de stages. Les recruteurs prennent des stagiaires alors qu’il s’agit de missions pour junior. »

Ismaël, l’intermittent du spectacle, n’a jamais osé se présenter aux entretiens sous son alias, Julien Fauché. Trop mal à l’aise. Il a hésité à porter plainte avec l’association SOS Racisme avant de se résigner : « Ça demande de l’énergie, du temps et de l’argent aussi. Le spectacle, c’est un milieu fermé, je ne veux pas passer pour l’emmerdeur. » Il a depuis trouvé un travail, sous-qualifié par rapport à ses compétences, mais dans le domaine artistique.