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Élections portugaises : quand les éditorialistes transforment le perdant en vainqueur
Article mis en ligne le 3 décembre 2015

Au lendemain des élections législatives au Portugal, les médias dominants ont transformé le cinglant désaveu pour le pouvoir en place en un plébiscite pour l’austérité, appliquée avec zèle depuis quatre ans. Au risque d’être rapidement contredits par la réalité des nouveaux rapports de forces politiques issus des urnes : six semaines plus tard, un gouvernement mandaté pour rompre avec la rigueur budgétaire voyait en effet le jour…

Si le journalisme d’opinion n’est pas nécessairement synonyme d’amateurisme dans le traitement de l’actualité, il y conduit immanquablement lorsqu’une vision rêvée du monde se substitue à l’analyse objective. Ainsi, le parti pris libéral des principales rédactions françaises aura-t-il donné lieu à une curieuse couverture des élections législatives portugaises du 4 octobre 2015. L’espoir, parmi les éditocrates, d’enfin voir un fidèle exécutant des mesures d’austérité récompensé dans les urnes a favorisé l’émergence d’un récit médiatique que rien ne pouvait mettre en cause, pas même par le suffrage populaire.

Le phantasme de l’« anti-Grèce »

Après quatre années d’austérité, le chef de file de la coalition conservatrice sortante, Pedro Passos Coelho, semblait, en effet, en mesure de résister aux bouleversements politiques dans les pays européens sous assistance financière. Longtemps donné perdant, le « meilleur élève de la troïka » avait, ces derniers mois, repris du poil de la bête dans les sondages, au point de dépasser l’opposition socialiste. En dépit de mesures pénalisant lourdement les classes moyennes et inférieures [1], les conservateurs seraient ainsi parvenus à convaincre la population de l’efficacité et de l’inéluctabilité des réformes, que serait venue sanctionner la timide reprise économique.

On comprend dès lors l’intérêt médiatique pour un peuple – enfin un ! – qui se serait converti à la résignation, vertu cardinale quand « il n’y a pas d’alternative ». Peu diserte sur la contestation sociale qui a accompagné le début de la législature, la presse française a, cette fois-ci, tourné ses projecteurs vers ce qui s’apparentait à la success-story de l’austérité. (...)

Ce scénario réglé comme du papier à musique aura pourtant fait chou blanc. (...)

ceux qui se sont opposés, à des degrés divers, au jusqu’au-boutisme austéritaire obtiennent la majorité absolue en sièges et en voix. Pas de doute : ceux qui espéraient que la population saignée à blanc adresse un blanc-seing à ses bourreaux devront encore patienter. (...)

Journalistes et commentateurs ont dès lors interprété les résultats de façon à les rendre conformes à la chimère néolibérale d’un peuple converti au culte de la rigueur. (...)

Défendre les politiques d’austérité ? Pourquoi pas ! C’est le droit de tout un chacun, y compris lorsqu’il fait profession de journaliste. Mais le faire en travestissant la réalité pour mieux la faire entrer dans le moule d’une vision libérale, voire ultra-libérale, de l’économie et des « recettes » face à la crise, pose problème. On est en effet en droit de se demander ce qu’il advient du rôle premier des médias, informer, lorsque les chefferies éditoriales sont tellement convaincues par leurs convictions qu’elles en oublient un – minuscule – détail : les faits.