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Elles veulent “corriger l’homosexualité” : les “homothérapies” religieuses enfin interdites ?
Article mis en ligne le 18 décembre 2019

“Corriger l’homosexualité” : c’est la promesse de thérapies de groupes chrétiens sur lesquels Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre ont enquêté dans un livre et un documentaire, disponible en replay sur Arte. Ils réagissent aux propositions de deux députés qui entendent légiférer pour interdire ces pratiques en hausse depuis les années 1990.

Dans le cadre de la commission des lois de l’Assemblée nationale, les députés Laurence Vanceunebrock (LREM) et Bastien Lachaud (La France insoumise) ont conduit, depuis juillet, une mission sur « les pratiques prétendant modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne ». Après trois mois de travail, près de trente auditions et le recueil des témoignages d’une soixantaine de personnes (presque toutes ces auditions sont disponibles en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale), ils en ont communiqué, mercredi 11 décembre, les conclusions et formulé onze recommandations : de la création d’une infraction à une meilleure formation sur le sujet. Les journalistes Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, qui ont coécrit le documentaire Homothérapies, conversion forcée, disponible en replay sur Arte, réagissent à ces propositions. (...)

Timothée de Rauglaudre : Si nous n’avons pas creusé la situation dans l’islam ou le judaïsme, c’est que notre enquête était centrée sur les réseaux structurés. Nous avions entendu parler de ruqiya sur des homosexuels, qui sont des exorcismes islamiques. Mais nous avions peu de témoignages de victimes. J’ai été frappé par le nombre de cas récents identifiés par la mission, à hauteur d’une centaine. Même si le constat d’une progression, et même d’une prolifération, de ces thérapies de conversion ne nous étonne pas. Ce mouvement dit « ex-gay » n’existait pas en Europe avant les années 1990. Importé des États-Unis, le groupe Torrents de vie s’est créé en 1995. Il a depuis ouvert des antennes locales dans une quinzaine de villes. Soit plus d’une tous les deux ans.

“Si une loi est adoptée, une personne abusée sur le plan psychologique ou spirituel aura les armes pour déposer plainte”

Les députés Laurence Vanceunebrock et Bastien Lachaud entendent déposer une proposition de loi « dans les mois à venir » pour que cette pratique devienne une infraction. Cela vous paraît-il une mesure adaptée ?
T.R. : Oui, car l’arsenal juridique actuel est peu lisible. Plusieurs acteurs avancent que la législation est suffisante, au motif que ces thérapies relèveraient de l’abus de faiblesse ou de l’exercice illégal de la médecine. Le problème est que l’abus de faiblesse est un délit difficile à caractériser et que l’exercice illégal de la médecine ne répond pas à la finesse du discours de ces groupes, qui ne revendiquent pas la pratique d’une thérapie au sens médical. La création d’une nouvelle infraction permettra donc d’éclaircir la situation en permettant aux juges de qualifier précisément ces faits. Elle pourrait aussi aider les personnes à se reconnaître comme victimes, car beaucoup mettent de nombreuses années pour comprendre ce qu’elles ont subi. Si une loi est adoptée, une personne abusée sur le plan psychologique ou spirituel aura les armes pour déposer plainte. (...)

Nous avons été frappés en commençant l’enquête par l’ignorance totale de ce sujet en France, notamment dans les associations LGBT non confessionnelles. Le fait religieux est souvent pris avec des pincettes par ces dernières. Il ne faut pas que le message délivré aux victimes soit d’expliquer que le problème est d’être chrétien, perpétuant le cliché selon lequel on ne peut être chrétien et homo : il faut simplement leur dire qu’elles sont tombées sur de mauvaises personnes.

T.R. : La mission a pointé le chiffre de 25 % d’établissements scolaires ne respectant pas leurs obligations en matière d’éducation à la sexualité. Nous sommes nous-mêmes tombés sur des écoles sous contrat, qui tenaient un discours similaire à ces thérapies, faisant des liens entre homosexualité et traumatismes durant l’enfance. Il faut que la puissance publique contrôle l’éducation sur ce sujet dans les écoles sous contrat.

“Il revient aux Églises de prendre leurs responsabilités en mettant en place, notamment, des structures de signalement”

Vous avez également souligné l’enjeu d’une politique axée sur les victimes. Au-delà d’une réponse pénale, l’accompagnement de ces dernières n’est pas vraiment au cœur des propositions de la mission…
J.-L.A. : Lors de notre audition par la mission, nous avions insisté sur le nécessaire accompagnement des victimes. Le sujet de ces deux députés était plutôt de savoir comment lutter en amont, mais leurs conclusions cherchent à remédier à l’énorme carence en la matière. (...)

T.R. : La puissance publique ne me semble pas la plus à même d’accompagner les victimes. L’outil juridique est nécessaire mais il ne sera pas suffisant. Plusieurs associations existent, capables de les prendre en charge. Et, surtout, il revient aux Églises de prendre leurs responsabilités en mettant en place, notamment, des structures de signalement.

Replay sur ARTE jusqu’au 24 janvier 2020