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Le Monde
Elom 20ce : « La France nous a vendu sa civilisation en rabaissant nos cultures africaines »
#françafrique #neocolonialisme
Article mis en ligne le 1er janvier 2023
dernière modification le 31 décembre 2022

« De Dakar à Djibouti, radioscopie de la relation Afrique-France » (6). L’artiste togolais Elom 20ce évoque une relation avec la France forgée dans le traumatisme. Et appelle les Africains à se reconnecter avec eux-mêmes.

Elom 20ce, de son vrai nom Elom Kossi Winceslas, se présente comme un « griot contemporain ». Dans ses textes, le rappeur togolais déclame haut et fort son amour pour le panafricanisme et fustige la mauvaise gouvernance des dirigeants africains. Né bien après l’indépendance du Togo, il pose, à 40 ans, un regard sans concession sur sa relation avec la France. (...)

Elom 20ce : Comme tous les enfants togolais, on m’a imposé l’apprentissage du français dans un climat de terreur. Parler ma langue maternelle à l’école était proscrit. Braver l’interdit, c’était s’exposer à l’humiliation et aux coups. Quand un élève employait un mot issu de nos langues nationales en cours, le maître lui infligeait le port d’un os en collier autour du cou. Cela m’arrivait souvent car j’étais turbulent. Quand je portais ce symbole d’infamie, j’étais aux aguets. Pour m’en débarrasser, il fallait qu’un autre élève commette à son tour cette erreur. (...)

Cela créait une drôle d’ambiance entre nous. J’en garde un souvenir traumatisant, car le maître d’école nous frappait pour des fautes commises dans une langue qui n’était pas la nôtre. La rencontre avec le français, ce sont aussi des comptines apprises dès la maternelle. Chanter « Sur le pont d’Avignon », « Petit Papa Noël » m’a fait entrer dans un imaginaire déconnecté de mon monde.

Quelles traces ce processus d’apprentissage coercitif a-t-il laissées, selon vous, dans les relations entre les jeunes Africains nés après les indépendances et la France ?

Cela engendre une forme d’amour et de haine envers la France. Pour ma part, j’en retiens que ce pays est insincère et schizophrène. En nous colonisant, la France nous a vendu sa civilisation comme un idéal à atteindre. Elle l’a fait en rabaissant nos cultures africaines et en nous l’enseignant. (...)

Même soixante-deux ans après les indépendances, pour réussir socialement, il faut toujours passer par l’école française. Mais lorsqu’on souhaite aller au bout du parcours scolaire, et poursuivre ses études en France, on trouve porte close. Décrocher un visa est aujourd’hui une vraie galère. Seule une poignée d’étudiants africains, souvent les plus fortunés, y parviennent. Pour les autres, traverser le désert et la mer pour avoir un avenir reste une voie de survie. (...)

Je ne crois pas en l’existence d’une haine antifrançaise en Afrique comme on l’entend souvent. Mais contrairement à leurs aînés, les jeunes d’aujourd’hui, dont l’avenir est bouché, ont saisi les rapports de force à l’œuvre. Ils dénoncent le bradage de leurs ressources au profit de leurs élites et de puissances étrangères comme l’ancien colonisateur.

Dans certaines capitales, ces disparités explosent au grand jour. (...)

Il y a une forme d’insolence à parler de « sentiment antifrançais » pour qualifier la rage de ces jeunes. La France ne devrait pas s’en étonner. Elle a conquis, massacré, violenté des peuples et continue aujourd’hui de s’allier à des potentats soutenus par les élites corrompues. Quand Emmanuel Macron adoube le fils d’Idriss Déby, cela heurte tous les Africains. (...)

Par ailleurs, cet esprit colonialiste et condescendant se perpétue sur certaines chaînes de télévision françaises. Des politiciens passent leur temps à traiter les Africains et les afrodescendants de sous-hommes. Sur le continent, ce racisme nourrit aussi la colère de la jeunesse à l’égard de la France. (...)

Nos élites, formées à l’école occidentale, ont développé une haine de leur peuple. Elles ont été coupées d’elles-mêmes, déracinées. Et assurent le statut quo en soutenant des pratiques néocoloniales. (...)

Nous avons tant perdu dans la colonisation, le reniement de soi est sans doute l’une des choses les plus tragiques. Cela engendre tant de maux, dont la mal-gouvernance qui prive les Africains d’un présent et d’un futur prospères. (...)

Au fond, la France ne fait que défendre ses intérêts. C’est à nous, Africains, de nous reprendre en main. La colonisation nous a éloignés de nous-mêmes. Il nous faut résister à la violence néocoloniale et à ses relais. Nous célébrer et nous unir. Cela, ce n’est pas la France qui va le changer, mais des dirigeants investis pour l’intérêt de leur peuple.