
Régulièrement, des médias s’emparent d’un fait ou d’un événement qui, même quand il n’est pas imaginaire, subit des interprétations fantaisistes dont les effets, il est vrai, sont inégalement ravageurs. Tel fut le cas, récemment, dans certains médias français, de la portée et du sens attribués à des baignades collectives en Algérie, comme l’a notamment relevé le site Arrêt sur images [1].
Aucun pays n’est épargné par de tels « emballements » dont les conséquences politiques peuvent être graves. Ainsi, en Argentine, au mois de mars dernier un hélicoptère en carton, si l’on en croit les commentateurs locaux, a menacé la démocratie…
En Argentine, le 24 mars, « jour national de la mémoire, de la vérité et de la justice », est placé sous le signe de la commémoration. Chaque année, des milliers de personnes défilent dans les rues pour rendre hommage aux victimes de la dictature militaire (1976–1983), instaurée par un coup d’État, précisément le 24 mars 1976.
La marche est aussi le théâtre de différentes interventions et performances, comme celle qu’évoque « lundi matin » : « Cette année l’un de ces groupes, qui lient politique et art dans une relation symbiotique, a eu l’honneur et/ou l’effroi de se retrouver propulsé au centre des feux médiatiques –non dans les pages culturelles mais policières et politiques ». En effet, l’irruption d’un hélicoptère en carton a déchaîné les passions, et notamment celles des journalistes locaux… (...)
Cet hélicoptère était une création du groupe « Etcétera » qui se présente, sur son blog, comme « un collectif artistique indépendant et multidisciplinaire formé à Buenos Aires en 1997 » et faisant partie de « l’Internationale Erroriste, une organisation qui revendique l’erreur comme philosophie de vie ». (...)
la plaisanterie n’est pas du goût de tout le monde. Ainsi Jorge Rial, animateur et présentateur de radio et télévision (notamment d’América TV) commente dans un tweet [7] la photo de l’hélicoptère : « Inutile. Irritant. Une connerie ». (...)
Pourtant, bien au-delà de Twitter, l’hélicoptère suscite des réactions assez disproportionnées, de la part d’autres journalistes et éditorialistes…
Des références historiques…
Probablement sous l’effet du « jour de la mémoire », la proposition artistique va tout d’abord faire écho, selon certains, à différents événements de l‘histoire politique contemporaine argentine. (...)
Dans un article au titre fortement accrocheur « De l’hélicoptère putschiste aux Droits de l’homme des finauds », mais rédigé de manière ironique, le journaliste Sebastián Fernández résume de manière assez savoureuse : « Curieusement, ce qui a retenu le plus l’attention de nos médias sérieux, ce sont les slogans contre le gouvernement et un hélicoptère en carton qui, selon plusieurs experts en travaux manuels, pourrait être un dispositif putschiste ».
Pris dans la tourmente [15], la troupe à l’origine du happening, s’explique à la fin de son communiqué de presse :
« L’hélicoptère en carton est un objet ludique qui faisait partie du scénario d’une performance artistique, mais en étant exhibé dans les médias en dehors de tout contexte, le sens de l’œuvre a été criminalisé : le contenu humoristique a été manipulé et il en est résulté une utilisation médiatique qui a inclus des allusions à la fin du gouvernement de Fernando De la Rúa et d’Isabel Martínez de Perón, à la “caisse d’Herminio”, ou au symbole d’un supposé plan de déstabilisation du régime, et même au nazisme ! »
En définitive, on peut ici mesurer les effets délétères d’un journalisme d’imputation, pratiqué notamment par les journalistes du Groupe Clarín, lorsqu’il semble déterminé à vérifier dans l’apparition inopinée de cet hélicoptère en carton – et telle une prophétie auto-réalisatrice –, l’existence supposée d’un plan putschiste que ces mêmes journalistes avaient cru déceler, quelques jours plus tôt, dans les secteurs liés aux deux présidents qui ont précédé Mauricio Macri : le couple formé par Néstor et Cristina Kirchner.
Il va de soi que de tels « emballements » sont strictement exotiques et n’auraient aucun équivalent en France…