
Le gouvernement congolais a appelé au départ du porte-parole de la Monusco, la mission des Nations unies, a-t-on appris mercredi, alors qu’une vague de violentes manifestations contre la présence des Casques bleus a fait 36 morts.
Le 20 juillet dernier, les autorités maliennes avaient elles aussi expulsé le représentant des Nations unies, dans un contexte de fortes tensions. Comment expliquer cette défiance grandissante vis-à-vis des forces de l’ONU en Afrique ? Entretien.
Présente depuis 22 ans dans le pays, la mission de l’ONU en RDC (Monusco), est l’une des plus importantes et des plus coûteuses au monde, avec quelque 14 000 soldats de la paix sur le terrain. Mais son efficacité est remise en question par la population, notamment dans la région du Kivu, où les civils sont la cible d’exactions de groupes armés.
Pour faire le point sur cette crise de confiance à l’égard des Casques bleus, France 24 s’est entretenu avec Michel Luntumbue, chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), spécialiste des questions sécuritaires en Afrique. (...)
Il y a en RDC un phénomène certain de lassitude vis-à-vis de cette mission, présente depuis plus de vingt ans et que beaucoup de citoyens considèrent inefficace. À cela s’ajoute le sentiment de frustration face au désintérêt de la communauté internationale à l’égard de la situation dans le pays. Les Congolais se considèrent agressés par le Rwanda mais regrettent que, contrairement au conflit entre l’Ukraine et Russie, cette "agression" ne soit pas reconnue comme telle et que l’Occident continue à faire des affaires avec Kigali. (...)
les Casques bleus ne sont pas une force offensive. Ils ne sont pas là pour faire la guerre mais pour empêcher que celle-ci ait lieu. Les missions des Nations unies sont déployées sur la base du consentement de l’État hôte, lorsque la situation dans le pays représente une menace pour la paix et la sécurité internationale. Le but est d’accompagner un processus politique de dialogue et de réconciliation nationale.
En théorie, le recours à la force se limite au cas de légitime défense ou de défense du mandat. cette force ne doit en aucun cas devenir partie prenante au conflit. Ce principe d’impartialité est essentiel pour garantir aux forces onusiennes le rôle d’arbitre.
Face à la mutation du contexte sécuritaire et à la montée des menaces asymétriques, certains acteurs internationaux souhaitent voir évoluer les opérations de la paix vers des mandats plus offensifs, avec notamment la mise en place de brigades, sur le modèle de la force d’intervention de la Monusco, pour lutter efficacement contre les groupes armés, comme ce fut le cas contre les forces du M23 en 2013.
Le problème est que cette formule de brigade offensive est beaucoup moins efficace face aux groupes armés non conventionnels qui pullulent dans l’est de la RDC comme au Sahel. Dans l’est du Congo, ces groupes vivent de la prédation des ressources naturelles et ciblent les populations, parfois sans projet politique clairement identifiable, et cette situation rend la protection des communautés locales extrêmement complexe. (...)
Il y a indéniablement une tendance lourde : les opérations multidimensionnelles de grande taille déployées en Afrique arrivent en fin de course.
Avec l’évolution des conflits et la multiplication des acteurs, ces missions deviennent trop complexes sur le terrain. Le climat actuel de "quasi-guerre froide" au sein du Conseil de sécurité aura immanquablement un impact sur l’évolution des opérations de paix onusiennes. Le leadership des Nations unies se trouve quelque peu fragilisé par la guerre en Ukraine qui rend difficile l’atteinte du consensus sur certaines questions, dont l’évolution des mandats de missions.
À cela s’ajoutent les calculs politiques des dirigeants. (...)
Dans ce contexte, on peut s’attendre à un effet boule de neige des appels au retrait de ces forces ou, à minima, des demandes d’évolution de leurs modalités. Le scénario qui semble le plus plausible aujourd’hui reste celui d’un retrait graduel des Casques bleus, remplacés à terme par des forces militaires régionales, plus offensives, soutenues par les Nations unies. (...)