
Le XXIème siècle s’est ouvert en Amérique latine avec l’arrivée au pouvoir de gouvernements progressistes : ceux d’Hugo Chávez au Venezuela (1998), de « Lula » au Brésil (2002), de Nestor Kirchner en Argentine (2003), d’Evo Morales en Bolivie (2005) ou de Rafael Correa en Équateur (2006). Une région du monde qui avait, auparavant, vu se succéder coups d’État militaires et régimes dictatoriaux. Mais désormais, ce sont d’autres méthodes qu’emploient les forces réactionnaires pour déstabiliser, voire renverser, les mêmes gouvernements progressistes.
Au Venezuela en avril 2002, un putsch est organisé contre Chávez. Or ce coup de force, qui a échoué sous la pression de millions de Vénézuéliens réclamant le retour au pouvoir de leur président élu, présente une singularité : il a été largement fomenté par les médias privés. À partir de ce putsch manqué, une nouvelle ère sombre s’est ouverte, celle des « coups d’État en douce » (pour reprendre les mots du journaliste Maurice Lemoine [2]) : contre Manuel Zelaya au Honduras (2009), Fernando Lugo au Paraguay (2012), Dilma Roussef au Brésil (2016) – sans omettre des tentatives de déstabilisation en Bolivie (2008) ou en Équateur (2010). Or, la plupart de ces épisodes factieux ont été accompagnés et soutenus par de grands médias privés. Si le fait n’est pas nouveau, puisque le quotidien chilien El Mercurio avait préparé et soutenu le coup d’état militaire de 1973, l’hostilité des médias aux régimes progressistes s’est faite plus manifeste. Il arrive même qu’elle soit, tout simplement, ouvertement revendiquée par les médias eux-mêmes. (...)
l’évocation de la situation argentine montre à quel point le combat pour les médias est progressivement devenu un enjeu de lutte pour les forces progressistes. Mais si l’on observe la violente campagne qui a été menée par de grands médias brésiliens – O’Globo en tête – à l’encontre de Dilma Roussef et de la gauche brésilienne, on mesure à quel point ce combat reste toujours d’actualité. Pour autant, que conclure des différentes initiatives de réforme du champ médiatique initiées par les différents gouvernements progressistes latino-américains ? Globalement, deux tendances sont à distinguer.
Une première option consiste à s’engager sur le terrain périlleux du contrôle des contenus. Si un tel chantier, entamé par exemple au Venezuela, peut sembler s’imposer face au caractère outrancier, voire franchement discriminatoire ou injurieux, du traitement pratiqué par certains médias, il comporte un coût politique non négligeable : il renforce la polarisation politique, et donne lieu à des accusations d’autoritarisme. Ainsi, dans l’Équateur de Rafael Correa, des médias et des journalistes, et même un caricaturiste, ont été sanctionnés ou obligés de « rectifier » ce qu’ils avaient précédemment publié. Ce qui n’a pas manqué de susciter l’indignation de nombreux médias internationaux et des interrogations légitimes de la part d’anciens soutiens au régime corréiste.
La seconde option, évoquée ci-dessus à propos de l’Argentine, privilégie davantage la démocratisation des médias, c’est-à-dire, grosso modo, l’ouverture du paysage médiatique à de nouveaux acteurs marginalisés jusque-là : les médias du tiers secteur. Cette opportunité nouvelle donnée à des organisations à but non lucratif est évidemment inséparable d’une déconcentration du secteur médiatique, c’est-à-dire d’une action sur la propriété des organes de presse. À l’heure où de grands intérêts financiers continuent de dessiner la carte des médias à leur guise, cet enjeu reste crucial.