
(...) La Grèce sera-t-elle le premier pays de l’Union européenne à laisser mourir un prisonnier politique en grève de la faim depuis la mort de l’Irlandais Bobby Sands en 1981 ? C’est à craindre, à voir l’état de santé de Dimitris Koufodinas, 63 ans, ex-tête pensante de l’organisation terroriste d’extrême gauche 17-Novembre. Son état « s’est considérablement détérioré », a précisé dimanche l’hôpital de Lamia, dans le centre du pays, où Koufodinas est en soins intensifs depuis onze jours. En réalité, c’est un bras de fer qui se joue entre lui et le gouvernement.
Dimitris Koufodinas, incarcéré depuis dix-huit ans et demi, a arrêté de s’alimenter depuis cinquante et un jours et de s’hydrater depuis huit jours. Il entend ainsi protester contre la « torture » que lui fait subir le gouvernement, selon les mots de son avocate, Ianna Kourtovik. Elle affirme également qu’il s’agit d’une « revanche » de la famille de l’actuel Premier ministre, Kyriákos Mitsotákis.
Pour comprendre, il faut plonger dans l’histoire de ce 17-Novembre, réseau révolutionnaire, anticapitaliste, anti-impérialiste, prônant la lutte armée à partir des années 70. Dans une Grèce tout juste sortie d’une dictature des colonels (1967-1974), implantée avec l’aide de la CIA, cette organisation a d’abord exécuté, en 1975, le chef de l’antenne de l’agence américaine en Grèce, Richard Welch. Elle tuera 22 autres personnes, proches des colonels restés en place après 1974, ressortissants des Etats-Unis, hommes d’affaires grecs, diplomates turcs, journalistes… Parmi les victimes figure Pávlos Bakoyánnis, tué en 1990. Il était le père de l’actuel maire d’Athènes Kóstas Bakoyánnis, marié à la députée Dóra Bakoyánni et beau-frère de l’actuel Premier ministre, Kyriákos Mitsotákis ; tous les trois sont des cadres de Nouvelle Démocratie (ND, droite), le parti aujourd’hui au pouvoir.
« Traitement discriminatoire »
En 2002, quand le réseau est démantelé, Koufodinas se rend lui-même à la justice. Inculpé de onze meurtres, il écope de la perpétuité et une cellule spéciale lui est aménagée dans les sous-sols de la prison de Korydallós, près d’Athènes. En 2017, sous le gouvernement d’Aléxis Tsípras (Syriza, gauche), Koufodinas est dirigé dans une prison agricole et obtient des permissions de sortie, pour bonne conduite, conformément au droit des détenus.
Mais de retour au gouvernement, en 2019, la ND modifie la loi sur la détention et adopte une disposition qui interdit aux condamnés pour crimes violents, donc à Koufodinas, de purger leurs peines dans une prison agricole. L’an dernier, il est transféré dans la prison de haute sécurité de Domokos et toute permission de sortie lui est retirée. Quand Koufodinas demande son transfert à la prison de Korydallós, pour être plus proche de sa famille, il essuie un refus catégorique. Là, il entame sa grève de la faim. Pour son avocate, Ianna Kourtovik, « les droits du détenu sont violés. Le gouvernement ne respecte pas la loi qu’il a lui-même édictée ! » Elle estime que « la gestion de l’affaire par les autorités est arbitraire et punitive ».
Pour la professeure de droit constitutionnel à l’université de Thessalonique Iphigenia Kamtsidou, « un traitement discriminatoire lui est réservé au regard de l’article 4 de la Constitution selon lequel les citoyens sont égaux devant la loi ». De son côté, la famille Mitsotákis-Bakoyánnis dénonce le « chantage des assassins en série professionnels ». Pourtant, cette rupture d’un principe fondamental de l’Etat de droit inquiète nombre de Grecs. Depuis plusieurs jours, partis d’opposition de gauche, nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et simples citoyens sont des milliers à manifester pour le respect des droits d’un détenu au seuil de la mort.