
De la mozzarella de bufflonne biologique, fabriquée sur des terres confisquées à la mafia italienne : c’est le défi que s’est lancé une coopérative sociale agricole dans une région historique pour la Camorra.
Castel Volturno (Italie), reportage
« Ici, la Camorra a perdu ! » Tel est le message en grosses lettres noires affiché sur le portail de la coopérative sociale Les Terres de Don Peppe Diana, située à Castel Volturno (Campanie), dans le sud de l’Italie. Sur ces terres, donc, la célèbre organisation mafieuse implantée notamment dans cette région n’a plus la mainmise. Il est 7 heures du matin en cette journée d’été et Massimo Rocco, le directeur du site, accueille les visiteurs désireux d’assister à la production de la seule mozzarella d’Italie à revendiquer le label « antimafia ».
Dès le premier coup d’œil, cette exploitation agricole semble avoir quelque chose de particulier. Dans la petite épicerie, qui jouxte le laboratoire de la fromagerie et le bureau de Massimo, on trouve une série de denrées alimentaires labellisées Libera Terra, des produits de tout le pays qui, comme la mozzarella de la coopérative, sont issus d’une démarche sociale et économique, une alternative aux pratiques mafieuses. Depuis 1995, la confédération d’associations Libera, fondée par le prêtre Don Luigi Ciotti, coordonne les initiatives de ce type. Parmi les nombreuses activités qu’elle accompagne se trouve la gestion de biens confisqués par la justice aux personnes liées au crime organisé. Une loi italienne permet en effet de mettre à la disposition de collectivités ou d’entreprises de l’économie sociale et solidaire ces propriétés immobilières et foncières mal acquises. (...)
Avant de produire du fromage biologique et de donner du travail à des ouvriers en réinsertion, ces quelques bâtiments perdus au milieu des champs étaient la propriété d’un certain Michele Zaza, l’un des parrains historiques de la mafia napolitaine.
Celui qui avait démarré sa fortune avec la contrebande de cigarettes dans les années 1970 cultivait sur ces terres une passion pour les chevaux. Les écuries ont été saisies par la justice en 1990, mais ce n’est qu’une décennie plus tard qu’elles ont définitivement été confisquées, devenant une propriété de l’État. Après une autre décennie, les écuries et quelques autres lots de terre ont finalement été mis à la disposition de la coopérative sociale montée spécialement par le réseau Libera, via un comité local. L’objectif était d’y créer une double activité : économique, avec la production de divers fromages, légumes et fourrages ; et sociale, avec la création d’un centre d’activités pour la jeunesse. (...)
s’opposer à la mafia demande plus que des discours et des symboles. « Ce qu’il fallait avant tout, c’était créer une entreprise qui marche, et dépasser le cap des bonnes intentions en montrant qu’on peut combattre la mafia par une entreprise saine. »
Dans le sud de l’Italie, la production de mozzarella est un secteur qui a plusieurs fois été épinglé pour diverses formes de pratiques illégales (...)
Pédagogie et sensibilisation
L’une des missions principales des militants de l’« antimafia sociale » est en effet de changer les mentalités, notamment en faisant comprendre les enjeux de la légalité : l’opposition à la corruption et à l’extorsion. Un discours qui reste encore difficile à entendre dans des régions qui ont été si longtemps sous la coupe de pratiques mafieuses. Les relations avec le voisinage, elles, ont parfois été houleuses.
« Des incendies, probablement criminels, ont été recensés et du matériel a été volé, se souvient Massimo. Ce n’est pas facile de surveiller nos parcelles disséminées sur plusieurs communes, au milieu de celles appartenant à des familles mafieuses. En revanche, pour une question de transparence, nous envoyons nos bilans économiques et sociaux aux communes et aux préfectures. » Car la sensibilisation aux alternatives à la mafia doit se faire du fournisseur aux consommateurs, en passant par les acteurs locaux. C’est une raison pour laquelle la coopérative emploie entre autres des anciens détenus. (...)
Dans le but d’éduquer les futures générations, le domaine agricole accueille également des camps scouts. (...)
« C’est l’un des premiers centres de ressources sur les luttes sociales, l’agriculture biologique et l’histoire de l’antimafia de la région nord de Naples », présente fièrement notre hôte. Sa coopérative a d’ailleurs pris le nom du curé de la ville voisine de Casal di Principe, Don Giuseppe Diana, assassiné dans son église par la Camorra en 1994, pour rendre hommage à son combat contre la mafia locale. (...)
Ses produits sont en compétition avec ceux de quatre-vingts autres producteurs de la région. « Cela n’a rien à voir avec les conditions de production, seuls le goût et la qualité du produit sont pris en compte. C’est important pour nous d’être reconnus comme fabricants d’un excellent produit. » Quelques semaines après notre passage, la nouvelle tombe : la mozzarella di bufala de la coopérative a décroché la première place ! (...)