
Lors d’une visite en Alaska début septembre 2015, M. Barack Obama a souligné la nécessité de lutter contre le changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Le cas de la Louisiane, dont le quotidien des habitants se trouve profondément affecté par la disparition des bayous, montre pourtant que cette solution ne suffira pas : pour limiter la montée des eaux, c’est l’ensemble du modèle américain de développement qu’il faut revoir.
Ce qui constituait autrefois l’une des zones humides côtières les plus fertiles de la planète se réduit au rythme alarmant d’un terrain de football par heure (2).
Plusieurs facteurs expliquent la disparition des bayous de Louisiane : l’élévation du niveau de la mer, l’érosion côtière, les glissements de terrain, les seize mille kilomètres de canaux creusés par l’industrie pétrolière (3), etc. (...)
La montée des eaux apparaît aujourd’hui liée au réchauffement climatique, mais autour du delta du Mississippi, les terres s’effacent depuis les années 1930, quand le corps des ingénieurs de l’armée des Etats-Unis a commencé à construire des barrages autour du fleuve.
Pendant plus de dix mille ans, le Mississippi a drainé un vaste bassin hydrographique, s’étendant du Wyoming à la Pennsylvanie et de la frontière canadienne au golfe du Mexique. Troisième fleuve mondial en longueur, il a façonné la côte louisianaise en y déposant le limon et les sédiments charriés depuis les confins du continent. Les sociétés amérindiennes précolombiennes comprenaient alors qu’un fleuve sain connaît des périodes de crue et de sécheresse, et que ces cycles contribuent à donner forme au cours d’eau et aux civilisations s’établissant à proximité. Les Amérindiens construisaient leurs villages non pas sur les berges du fleuve, mais à une distance suffisante pour laisser de la marge aux eaux changeantes. De surcroît, aux établissements permanents ils préféraient des campements capables d’être déplacés en cas de crue. (...)
Le premier appareil de forage des bayous louisianais fut installé en 1948, à huit kilomètres de la maison d’enfance de Mme Chaisson. Puis des canalisations et des routes furent construites à travers les marécages pour faciliter l’accès aux plates-formes. Les exploitants avaient promis de solidifier leurs canaux, c’est-à-dire de les remblayer une fois le puits de pétrole terminé, afin de limiter les mouvements d’eau du fragile marais. « Mais ils n’ont pas tenu parole, s’indigne M. Billiot. Ils n’ont pas cherché à préserver les bayous comme ils l’avaient dit, et maintenant la mer frappe à notre porte. » Aujourd’hui, les marécages abritent la moitié des raffineries des Etats-Unis ; leur réseau de pipelines transporte 20 % du pétrole brut et 33 % du gaz naturel du pays.
Depuis la marée noire,des crevettes naissent sans yeux (...)
Chaque année, la zone des bayous se réduit de soixante-dix-sept kilomètres carrés. Ce chiffre est d’autant plus alarmant que la Louisiane abrite la moitié des zones humides américaines et que ces zones constituent le meilleur rempart contre les ouragans. En effet, les marécages fonctionnent comme des éponges géantes : au lieu de laisser la houle submerger la côte soudainement, ils absorbent l’eau apportée par les cyclones, puis la libèrent progressivement, évitant ainsi l’inondation de l’intérieur des terres. (...)
Les Etats-Unis figurent à la onzième place des pays les plus exposés à la montée des eaux, après les Pays-Bas, le Bangladesh ou encore l’archipel des Philippines. Dix-huit millions d’Américains vivent aujourd’hui dans une zone à haut risque, soit 6 % de la population. Ce nombre devrait doubler d’ici à la fin du siècle (8). Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit que la fonte des glaciers (et notamment de la calotte du Groenland), conjuguée à la dilatation des océans due au réchauffement, entraînera une augmentation du niveau moyen des mers de 19 centimètres entre 1901 et 2020 et pourrait augmenter encore de 26 à 98 centimètres selon les scénarios (9). (...)
Les Etats-Unis figurent à la onzième place des pays les plus exposés à la montée des eaux, après les Pays-Bas, le Bangladesh ou encore l’archipel des Philippines. Dix-huit millions d’Américains vivent aujourd’hui dans une zone à haut risque, soit 6 % de la population. Ce nombre devrait doubler d’ici à la fin du siècle (8). Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit que la fonte des glaciers (et notamment de la calotte du Groenland), conjuguée à la dilatation des océans due au réchauffement, entraînera une augmentation du niveau moyen des mers de 19 centimètres entre 1901 et 2020 et pourrait augmenter encore de 26 à 98 centimètres selon les scénarios (9).
Sur les dix ouragans les plus ravageurs enregistrés aux Etats-Unis depuis cent soixante ans, neuf ont frappé la côte du golfe du Mexique et six d’entre eux se sont produits durant la dernière décennie (10). Pâtissant encore du coût élevé des reconstructions, la Louisiane a approuvé à l’unanimité, en 2012, un plan de protection de cinquante ans, afin d’adapter l’Etat à la montée des eaux et de pallier l’absence de réponse au niveau fédéral. Scientifiques, experts de l’industrie pétrolière et gazière, décideurs politiques et représentants de groupes indigènes locaux ont participé à l’élaboration de ce programme inédit dans le pays.
Le Master Plan, comme on l’appelle communément, devrait coûter 50 milliards de dollars. Mais, d’après M. Jordan Fischbach, codirecteur du RAND Water and Climate Resilience Center, les conséquences de l’inaction seraient bien plus lourdes (...)
Mais ce plan ne prévoit nullement de s’attaquer à l’emprise de l’industrie pétrolière et gazière dans la région. Bien que le département de l’intérieur — qui administre les terres possédées par l’Etat américain — ait proposé de renforcer les normes concernant le développement de l’extraction pétrolière en mer, les législateurs n’ont pas encore donné leur aval. Sans des mesures de ce genre, les milliards de dollars dépensés dans la redistribution des sédiments ne serviront à rien. Il ne peut y avoir de débat sérieux sur la résilience côtière sans prise en compte des facteurs aggravants. (...)
M. Albert Naquin, le chef de la communauté amérindienne de la presqu’île de Jean Charles, s’échine à convaincre tous les habitants de quitter ce petit bout de terre : c’est la condition sine qua non pour bénéficier des indemnités de relogement du corps des ingénieurs de l’armée. En attendant, ceux qui n’en peuvent plus des inondations à répétition déménagent à leurs frais. « Les Blancs nous ont contraints à nous installer ici, déclare-t-il en référence à la longue histoire de la persécution des Amérindiens. Et maintenant Mère Nature nous repousse dans les terres. Mais certains ne veulent pas partir. » (...)
Et si la solution consistait non pas à concevoir, construire et maintenir un plan de protection côtière au coût exorbitant, mais à vivre comme M. Dadar, en se contentant de moins ? Selon l’essayiste Naomi Klein, pour vivre dans le respect des ressources naturelles, il n’est pas nécessaire d’en revenir à la préhistoire, comme le prétendent certains « climato-sceptiques » : « En vérité, pour respecter les limites écologiques, il nous faudrait plutôt revenir à un mode de vie comparable à celui qui avait cours dans les années 1970, avant l’explosion de la consommation (11). » (...)