
Les autocollants contre la communauté LGBT+ apparus fin juillet participent d’une stratégie populiste consistant à présenter la majorité hégémonique comme victime d’un prétendu « lobby ».
L’un des journaux d’extrême droite polonaise, Gazeta Polska, a annoncé le 17 juillet 2019 l’ajout d’un bonus à son édition du 24 juillet : un autocollant imprimé d’un arc-en-ciel barré, où l’on peut lire « zone libre de LGBT ».
Ce cadeau au lectorat est tout particulièrement prévu pour être distribué et collé sur les devantures des commerces de proximité, et s’inscrit dans une campagne qui touche également une trentaine d’entités territoriales depuis début juillet. (...)
En écho avec les déclarations choquées qui ont émergé un peu partout dans le monde occidental, la version polonaise de Newsweek a proposé, en collaboration avec la Campagne contre l’homophobie (KPH), une série d’autocollants marqués « zone libre de haine ». (...)
Terreau haineux
Difficile de ne pas établir un lien entre ces autocollants anti-LGBT+ et les sombres affichettes « Nur für Deutsche » (« seulement pour les Allemands ») qui ont orné les établissements publics polonais il y a plus de soixante-dix ans, lorsque l’accès à certains lieux était interdit aux personnes non-aryennes –juives ou polonaises– pendant l’occupation allemande.
L’analogie avec l’occupation nazie peut paraître exagérée. Certes, les personnes LGBT+ ne seront pas systématiquement interdites d’entrer dans des commerces qui afficheront l’autocollant incriminé. Mais ces stickers et les discours qui les accompagnent participent d’un même terreau haineux, propice au rejet social et physique, dans un pays où le parti ultraconservateur est particulièrement puissant.
Ce dernier présente désormais les personnes LGBT+ et les militant·es défendant leurs droits comme des êtres complètement étrangers au corps social polonais, des agents représentant des intérêts « gauchistes », issus d’un lobby mondial et complotant à l’encontre de la culture polonaise. (...)
Malheureusement, ce discours porte déjà ses fruits, comme peuvent en témoigner les participant·es de la première marche des fiertés à Białystok le 20 juillet 2019, qui ont dû faire face à près de soixante contre-manifestations et marcher sous les huées, les prises à partie, dans la peur. (...)
Une certaine conception de la liberté a gagné : celle de refuser de prendre en compte l’autre dans sa diversité, en vertu d’une moralité définie par la majorité absolue, dans le pur mépris du respect du droit des minorités.
Un cas similaire s’est produit aux États-Unis en 2012. La Cour suprême a jugé en juin 2018 qu’un pâtissier américain ayant refusé un gâteau à un couple homosexuel était dans son bon droit, compte tenu de la liberté d’exercer ses droits religieux. (...)
Par ailleurs, les injonctions de la conférence épiscopale polonaise sont paradoxales : elles mettent de facto sur le même plan l’appel au meurtre (les passages de la Bible) et l’appel à l’acceptation des personnes LGBT+ (le postulat des militant·es). Les deux appels sont présentés comme égaux, au nom de la simple expression d’une « opinion ».
Ce pseudo-appel à la tolérance, émis par les milieux conservateurs et s’adressant à des milieux LGBT+, n’hésite pas reprendre à son compte le texte biblique selon lequel l’homosexualité est « une chose abominable », punissable de mort.
L’épiscopat, au lieu de rappeler que la lecture de la Bible ne peut pas se contenter du texte mais doit passer par des interprétations savantes apportées par la tradition, encourage une lecture littérale et contraire à l’esprit et à la lettre de ce qui est proposé actuellement par le Vatican. (...)
L’affaire des autocollants reprend tous les éléments de ce discours (...)
La majorité hégémonique réussit aujourd’hui à se présenter comme victime –un exploit désormais récurrent, à en croire les discours de dirigeants populistes, de Donald Trump à Jair Bolsonaro, de Matteo Salvini à Narendra Modi.
Il s’agit d’une tactique populiste particulièrement cruelle et aveugle, dans un pays où, comme partout en Europe, le taux de tentative de suicide et de suicide des ados LGBT+ est bien plus élevé que celui de leurs camarades cis et hétérosexuel·les. (...)
L’écho important que rencontre cette stratégie est particulièrement inquiétant en Pologne, où le pays se prépare aux élections parlementaires, prévues pour l’automne.