
À 3 500 kilomètres de Kaboul, une ville regarde avec inquiétude ce qui se passe dans la capitale afghane : Raqqa, au nord-est de la Syrie. En janvier 2014, les hommes de Daech ont pris la ville et y ont imposé plus de trois années de terreur. En octobre 2017, l’État islamique y a été vaincu par la coalition internationale, mais Raqqa est encore à terre et instable.
Raqqa (Syrie).– « Si je veux, avec quelques amis, je peux la reprendre moi-même ma ville ! », lance Hassan, assis sur un banc de la place Naïm, une glace à la main. Le jeune Raqqaoui tente un trait d’humour, mais depuis la prise de Kaboul par les talibans, lui et ses amis suivent de très près le basculement de l’Afghanistan.
Ce soir-là, sur cette place où Daech a exécuté à l’aveugle, tous s’accordent sur un point : leur ville n’est pas à l’abri d’un même scénario. « En tant que Raqqaouis, nous sommes vraiment terrifiés », explique Anas, un ami de Hassan. Après une courte pause, il reprend. « Nous craignons tous le retour de Daech, si un jour les Américains décident de se retirer définitivement de la zone comme ils l’ont fait soudainement en Afghanistan. Et nous savons bien que les Forces démocratiques syriennes ne pourront pas nous protéger. Ils fuiront. Nous ne sommes pas en sécurité ici. »
Raqqa est aujourd’hui sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes, une alliance entre Kurdes et Arabes. Les FDS ont installé des checkpoints aux entrées de la ville rasée, notamment sur les quelques ponts reconstruits. Une simple barrière, de très jeunes soldats en armes à peine formés et épuisés par des heures d’attente sous un soleil de plomb. (...)
Aujourd’hui, selon le Pentagone, 900 soldats américains sont stationnés au nord-est de la Syrie, principalement près de la frontière irakienne, là où se trouvent des puits de pétrole. En fin de journée, nous les avons croisés sur la route de Deir Ezzor, zone où les cellules de Daech sont encore très actives.
Des véhicules blindés beiges lancés à toute vitesse, drapeau au cinquante étoiles flottant au vent. Ces convois ne vont jamais jusqu’à Raqqa à 200 kilomètres plus à l’ouest. Selon Matteo Puxton, auteur d’« Historicoblog », un compte Twitter qui suit la propagande de l’État islamique, l’organisation terroriste a revendiqué 51 attaques depuis le début de l’année 2021 dans la province de Raqqa.
Jointe le 19 août 2021, via son centre de commandement aux États-Unis, la coalition internationale assure pourtant dans un courriel qu’elle « continue de s’engager et d’aider les FDS dans leur lutte contre Daech à Raqqa. La coalition soutient les efforts de ce partenaire pour détruite toutes les capacités de Daech, que ce soient ses capacités financières, de recrutement ou de propagande ».
Pas de quoi rassurer Faris. Le jeune homme travaille pour la reconstruction de sa ville avec une ONG locale. « En tant que travailleurs humanitaires, Daech nous considère comme des mécréants. Nous serons les premiers visés », confie le Raqqaoui. « Si Daech revient à Raqqa, qui va nous protéger ? Ici, il n’y a même pas d’aéroport. Au moins à Kaboul certains civils ont réussi à monter dans des avions », ajoute Faris, un sourire en coin. Ces images d’Afghans accrochés désespérément aux ailes des avions à Kaboul ont marqué le jeune homme et ses amis. Tous se sont imaginés à leur place, en train de fuir à tout prix leur ville.
Hantée par les crimes de l’État islamique
Les images de la prise de Kaboul par les talibans replongent les habitants de Raqqa dans la terreur. « J’en fais des cauchemars, nous souffle Hassan à l’écart de ses amis sur la place Naïm. Quand Daech est arrivé en janvier 2014, on ne savait pas qu’ils étaient des monstres, parce que l’on n’avait jamais eu affaire à eux. Mais maintenant, on sait de quoi ils sont capables. » Le regard dans le vide, il poursuit : « Un jour, les Occidentaux décident de vous libérer de leur emprise. Et le lendemain, ce sont les mêmes qui choisissent de vous abandonner à votre sort. C’est tellement injuste. » (...)
« Quand je vois les images des talibans qui font disparaître les visages des femmes sur les panneaux, je me souviens de ce que l’on a vécu. Quand ils sont arrivés, les djihadistes ont fait la même chose. Les femmes ont été leurs premières cibles. Je ne vois aucune différence entre les deux. Les talibans montrent des images de filles qui vont à l’école, mais cela ne va pas durer. Ils priveront les femmes de leurs droits. »
Zohour est une activiste de Raqqa. Elle sait qu’elle devra fuir au plus vite si un groupe comme l’État islamique reprend le contrôle de sa ville syrienne.
En 2014, un groupe de jeunes activistes non violents a essayé de faire face aux djihadistes. Sous le nom de « Raqqa is being slaughtered silently » (Raqqa est massacrée en silence), ce collectif a été le premier à diffuser sur les réseaux sociaux les exactions du groupe terroriste.
Firas Hannoush, l’un de ses membres, ne dort pas très bien ces derniers jours. (...)
Une trentaine de jeunes Syriens membres de ce collectif ont été assassinés par les djihadistes en Syrie, mais aussi en Turquie.
La présence dans le nord-est syrien de la coalition internationale protège aussi les activistes de Bachar al-Assad, l’autre entité qui terrorise les activistes. En octobre 2019, lorsque Donald Trump, alors président des États-Unis, annonce le retrait des forces spéciales américaines stationnées à la frontière turque, de nombreux habitants de Raqqa fuient, craignant justement l’arrivée des hommes d’Assad. (...)
Rongé par l’inquiétude, Salam ajoute dans un soupir : « De toute façon, ce sont tous des terroristes. S’ils reviennent, c’est d’abord les civils de Raqqa qui en paieront le prix fort comme aujourd’hui à Kaboul. »