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En pleine croissance, le réseau Biocoop est contesté sur le plan social
Article mis en ligne le 25 septembre 2020

Depuis le 9 juillet, les salariés des deux magasins Biocoop-Le retour à la terre à Paris se mobilisent pour de meilleures conditions de travail. Emportée par la croissance et face à concurrence des géants de la distribution, la société pionnière du bio a-t-elle oublié ses valeurs sociales et solidaires ?

Les clients jouent des coudes pour entrer dans le magasin. Devant l’enseigne Biocoop-Le retour à la terre, dans le 5e arrondissement de Paris, une quinzaine de salariés manifestent, samedi 12 septembre. Samuel, Konstantin ou encore Lætitia prennent la parole. Le micro lâche au bout de quelques minutes, obligeant les employés à crier leurs revendications dans un mégaphone de fortune : la revalorisation des salaires et le droit à une rupture conventionnelle sont dans toutes les bouches. Ils s’adressent parfois à leur dirigeante, Catherine Chalom, également dirigeante d’un autre magasin Biocoop. « La direction voulait y instaurer le travail du dimanche à la rentrée, raconte Konstantin, mais elle a fini par reculer » à la suite du piquet de grève du dimanche 6 septembre, avenue Philippe-Auguste (11e).

Les salariés peuvent compter sur le soutien d’un fournisseur, la Conquête du pain, boulangerie bio autogérée ouverte à Montreuil (Seine-Saint-Denis), qui a livré des cagettes vides. La contestation sociale a éclaté le 9 juillet, après l’annonce de la mise en vente des deux magasins à la sortie d’un confinement difficile. « Pendant cette période, on nous poussait à prendre des congés, mais on ne savait pas que notre prime serait proratisée selon le nombre d’heures travaillées », dit Konstantin.

Une journée nationale de grève a donc été organisée. Une trentaine de salariés représentant six magasins Biocoop (dont ceux de Strasbourg et Poitiers) se sont joints au cortège de la manifestation parisienne, le 17 septembre, organisés par les syndicats pour protester contre la politique sociale du gouvernement. (...)

Fondée en 1986, la société Biocoop — une société anonyme coopérative —, se définit comme « un réseau d’acteurs indépendants, militants et engagés », qui compte maintenant 650 magasins franchisés gérés de façon indépendante et ses 6.000 salariés. Mais les enseignes n’ont pas toutes le même statut : 40 % sont des coopératives et 60 % appartiennent à la catégorie des SARL (société à responsabilité limitée) familiales, où les salariés ne sont pas des coopérateurs. Les deux magasins Biocoop-Le retour à la terre font partie de la deuxième catégorie. (...)

Ce n’est pas la première fois que l’enseigne est confrontée à des contestations sociales. En 2011, un piquet de grève s’était réuni devant le magasin de Chambéry (Savoie). Pascale-Dominique Russo, autrice de Souffrance en milieu engagé (éd. du Faubourg, 2020), pose un regard nuancé sur le leader du bio, refusant de tomber dans des généralités : « Il serait plus que souhaitable que dans l’économie sociale et solidaire, par essence non lucrative, la relation employeur-salarié ne soit pas escamotée au motif que le travail y a du sens. » Selon elle, les modèles de réussite ne manquent pas, notamment dans les coopératives. Le « personnel semble très heureux » à la Biocoop de Venoix, quartier à l’ouest de Caen (Calvados), donne-t-elle pour exemple. (...)

Dans une Scop, une société coopérative de production où les salariés sont les associés majoritaires, la double casquette de sociétaire et de salarié permet d’avoir voix au chapitre dans les décisions qui concernent le magasin. (...)

Il est vrai que Biocoop doit composer avec une concurrence de plus en plus féroce. Alors que la coopérative a accueilli 30 % de clients en plus durant le confinement, d’autres grandes enseignes alimentaires sont attirées par le marché du bio, peu importe qu’il soit respectueux de l’environnement ou soucieux du bien-être des salariés. Conséquence de ces marchés concurrentiels ? Un « isomorphisme organisationnel », selon Pascal Glémain, maître de conférences en économie sociale et solidaire à Rennes 2 : l’expression signifie que le mode d’organisation de la grande distribution s’imposerait peu à peu au sein du réseau Biocoop. Ainsi, certains magasins Biocoop pourraient prendre les traits d’une grande surface. Ce phénomène tend aussi à s’expliquer par le profil des dirigeants du réseau, pour partie issus de la grande distribution. (...)

Pascal Glémain n’est pas étonné par ce mouvement de contestation sociale : « On ne gère pas des personnes comme on gère des ressources financières et bon nombre des structures de l’ESS ont eu tendance à l’oublier. » En attendant, Paul ], employé Biocoop en région parisienne, reproche à la coopérative de vouloir « calquer la grande distribution au lieu de renforcer son implication dans la proposition d’une réelle alternative ». Il souhaiterait que le fossé entre la direction et les salariés se réduise. Il conclut :« On considère que si l’on propose une alternative humaine et respectueuse de toutes et tous, on se doit d’être irréprochable. Quel sera le message laissé par Biocoop si la coopérative fait comme les autres ? »