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En savoir plus sur les ventes d’armes de la France à l’Arabie Saoudite : mission impossible, même pour les députés ?
Article mis en ligne le 6 novembre 2018
dernière modification le 5 novembre 2018

Des armes françaises sont-elles utilisées par l’Arabie Saoudite dans le meurtrier conflit au Yémen, où plusieurs millions de personnes sont menacées de famine ? Si c’est le cas, si des canons ou navires « made in France » servent délibérément à viser des civils ou à les affamer, les ventes d’armes françaises à l’Arabie Saoudite seraient illégales. C’est ce que tentent de savoir depuis un an plusieurs députés, emmenés par Sébastien Nadot, élu de la majorité. Mais les questions que les députés posent au gouvernement demeurent sans réponse. Et toute demande de commission d’enquête parlementaire se perd dans les limbes du pouvoir. Récit sur une zone d’ombre de la République.

Il y a un an, en novembre 2017, le Parlement européen vote une nouvelle résolution pour demander l’arrêt des ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Passant outre la volonté des députés européens, la France continue pourtant de livrer du matériel militaire à Riyad. Des armes françaises seraient même utilisées au Yémen. Cette situation pourrait constituer une violation du traité sur le commerce des armes, qui interdit d’exporter ce type de matériel quand il existe un risque de crime de guerre. Sébastien Nadot tente d’en savoir plus, mais se heurte à un mur du silence. Dans la 5ème République, c’est l’exécutif qui gère les ventes d’armes à l’étranger. Celles-ci sont approuvées par le Premier ministre, après consultation d’une commission où siègent les ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Économie. « Je veux bien que l’exécutif soit en charge, mais je me suis dit qu’on pouvait exercer un contrôle en tant que parlementaire », raconte Sébastien Nadot.

« Les réponses qu’on me donnait ne m’apprenaient rien »

Le député commence par poser des questions écrites. Il interroge les ministères, demande des rendez-vous... Les explications, quand on daigne lui répondre, ne le satisfont pas. L’exécutif se contente d’affirmer que des procédures strictes garantissent le respect des obligations internationales de la France. (...)

ur le terrain, le risque que des équipements militaires français – corvettes, canons ou systèmes de visée – soient utilisés pour des bombardements ou pour maintenir le blocus est réel, quoiqu’en dise la ministre.(...)

L’objectif est de savoir si les autorisations d’exportations délivrées par Matignon respectent bien les engagements internationaux de la France. Notamment ceux qui interdisent de vendre des armes là où il y a risque de violation du droit humanitaire ou des droits humains. Les commissions d’enquête donnent de vrais capacités d’investigation aux députés : un pouvoir de convocation, des dépositions sous serment et une possibilité d’accéder à certains documents classés. De quoi enfin faire la lumière sur l’utilisation des armes françaises dans ce meurtrier mais lointain conflit ? Plus de six mois après le dépôt de la résolution, soutenue par une soixantaine de députés issus de quatre groupes politiques, dont des dizaines de « marcheurs », le texte reste bloqué dans les limbes des procédures parlementaires.

Commission d’enquête : la commission des affaires étrangères ne veut pas en débattre (...)

depuis des mois, la résolution déposée par Sébastien Nadot n’est pas inscrite à l’ordre du jour.

C’est la présidente de la commission, Marielle de Sarnez, députée de Paris (Modem), et son bureau qui décident de cet ordre du jour. Or ils se refusent à y inclure la résolution sur les armes et le Yémen. Le seul moyen de les obliger à se pencher sur une demande d’enquête est d’utiliser le « droit de tirage » d’un groupe : une fois par an, chaque groupe parlementaire, y compris d’opposition, peut imposer une commission d’enquête, que les commissions permanentes ne peuvent pas refuser d’examiner. Avec une seule opportunité par session parlementaire, il faut donc bien choisir sa bataille. Le sort du lointain Yémen a donc peu de chance de figurer parmi les priorités des groupes d’opposition. « Nous avions beaucoup de sujets », confirme Bastien Lachaud, député Seine-Saint-Denis de la France insoumise, qui suit également de près les questions des ventes d’armes de la France. « Nous avions considéré que la résolution de Sébastien Nadot, député de la majorité, avait peut-être une chance de passer et nous l’avons soutenue. Mais Marielle de Sarnez l’a finalement bloquée. »

Le barrage du groupe parlementaire
Pourquoi ce blocage en commission ? (...)

Des dizaines de marcheurs soutiennent le principe d’une enquête sur les armes françaises qui finissent au Yémen. Mais leur groupe y serait-il opposé ? « A la commission des affaires étrangères, la responsable du groupe, la whip [3] a dit que de toutes manières le groupe n’en voudrait pas. Elle fait son travail de relai de la présidence du groupe, qui n’en voulait pas. », raconte Sébastien Nadot.

Nos partenariats valent-ils plus que les vies yéménites ?
Derrière un président de groupe majoritaire qui ne veut pas d’enquête – Richard Ferrand en l’occurrence, avant qu’il ne préside l’Assemblée nationale depuis septembre – on peut soupçonner un blocage du gouvernement. Et même une forme de lobbying pour empêcher les parlementaires de mettre leur nez dans les ventes d’armes. (...)

Le blocage de l’exécutif pourrait venir de plusieurs ministères : du Quai d’Orsay, de Bercy, de la Défense… Les intérêts de la France avec l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis sont multiples.(...)

Emmanuel Macron minimise les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite
Le gouvernement n’a, semble-t-il, pas envie de déranger les monarchies du Golfe. Interpellé sur le Yémen, Emmanuel Macron minimise nos ventes d’armes aux Saoudiens – qui sont pourtant nos deuxièmes clients en termes de livraison en 2017. Quand le journaliste Jamal Khashoggi disparaît au consulat d’Arabie Saoudite, il faut un communiqué conjoint avec l’Allemagne et le Royaume Uni et un engagement fort des États-Unis pour que la France se décide à exprimer sa préoccupation. Dans ce climat de prudence, on imagine difficilement que l’exécutif soit prêt à laisser des députés mener leur propre enquête qui pourrait conclure que les ventes d’armes à Riyad ou aux Émirats sont illégales.

Que reste-t-il aux parlementaires qui voulaient en savoir plus sur ces ventes d’armes ? (...)

Une mission d’information pour « enterrer le sujet » ?
Le 31 octobre, Marielle de Sarnez annonçait finalement la mise en place d’une mission d’information. Celle-ci ne serait pas focalisée sur le Yémen mais s’intéresserait plus généralement au contrôle des exportations d’armements. Les rapporteurs seront Jacques Maire de LREM, ancien du Quai d’Orsay, et Michèle Tabarot des Républicains, ancien soutien de Jean-François Copé aux côtés d’Olivier Dassault, fils de l’industriel qui a produit les Rafales. Les députés s’étant mobilisés sur le sujet ont donc été écartés. (...)

Il se trouve qu’une mission d’information sur le contrôle des armements a déjà été conduite en 2000. Dix-huit ans plus tard, ses propositions n’ont pas toutes été suivies d’effet. Les députés ont obtenu la transmission d’un rapport annuel sur les ventes d’armes, pour un contrôle a postériori, qui donne des informations trop lacunaires pour permettre un réel contrôle du respect du droit international ou l’engagement d’une quelconque responsabilité dans ce domaine. « Nous sommes dans un pays où il y a des zones d’ombre démocratiques, constate Sébastien Nadot. La mobilisation des députés sur ce sujet est sans précédent, mais on se heurte à une fin de non-recevoir. »

Les exportations d’armes : une zone d’ombre de la démocratie française
Le 8 novembre prochain, une conférence interparlementaire sur le Yémen se tiendra à l’Assemblée nationale, pour évoquer la situation humanitaire ainsi que les ventes d’armes. Des députés de plusieurs pays sont attendus. Peut être l’occasion d’échanger avec eux sur leurs pratiques en la matière. Au Royaume-Uni et en Allemagne, des commissions parlementaires permanentes publient tous les ans un contre-rapport sur les exportations d’armes, après auditions de décideurs, industriels et ONG concernés. En Suède les parlementaires participent en amont au processus d’octroi des autorisations d’exportations. Aux États-Unis, le Sénat peut interrompre une vente d’armes. En France, malgré les efforts de Sébastien Nadot, de Bastien Lachaud et de quelques autres élus, le sujet demeure tabou.

« Si ça n’avance pas, on discutera au sein du groupe France insoumise de l’opportunité d’utiliser notre droit de tirage sur la question des ventes d’armes l’année prochaine », assure Bastien Lachaud. En imaginant que cette commission soit enfin créée, il faudra ensuite que ses membres aient suffisamment de poids pour obtenir des documents généralement classés « secret défense ». Pour le député insoumis, « Les parlementaires ont peu de pouvoir en général, mais dans le domaine de la défense, c’est encore pire »