
Avec « En thérapie », ce que viennent de faire E. Toledano et O. Nakache, c’est un petit tremblement de terre dans la réception de la psychanalyse en France. En thérapie réussit là où toutes et tous, psychanalystes, théoriciens des sciences humaines, lecteurs de Freud, ne pouvaient qu’échouer. Plus encore, ils font de la psychanalyse un synonyme du politique : l’inquiétude pour la survie des corps parlants les uns avec les autres. Où s’entremêlent inextricablement le singulier et le multiple, l’unique de la parole et le pluriel des corps.
On pourra pincer les lèvres et prendre cette petite voix méprisante de celles et ceux qui considèrent que la chose de masse ne peut qu’être vulgaire et forcément caricatural ce qui s’adresse au plus grand nombre. D’ailleurs avec cette voix-là on affirmerait du haut d’un savoir et d’une expérience que, franchement : non ! Voire deux fois non.
Non 1 : à la psychanalyse. Trop longue, trop coûteuse, trop compliquée, trop vieille, trop inefficace, trop XX° siècle en somme. Aujourd’hui il y a tellement de méthodes innovantes et de thérapies brèves sans trop de blabla et de chichis : en somnolant, en respirant, en criant, en souriant, en regardant de la lumière, en se répétant deux-trois phrases devant la glace tous les matins, en s’étirant, en s’assouplissant…
Non 2 : et puis de toutes façons, ça n’est pas ça la psychanalyse. Ou avez-vous vu en France qu’on enlève ses chaussures, qu’on s’assoit et se lève à sa guise au cours des séances, qu’on va aux toilettes, vomit sur un tapis, boit un café, demande un verre d’eau et qu’on ne paye pas après chaque séance ? Où avez-vous vu que la ou le psychanalyste s’enquiert de l’état de sa patiente ou de son patient à la fin d’une séance pénible et lui propose un taxi. (...)
En thérapie réussit là où toutes et tous, psychanalystes, théoriciens des sciences humaines, lecteurs de Freud, de Lacan et de quelques autres ne pouvaient qu’échouer (médiatiquement parlant, il est toujours trop long et fastidieux de démonter un préjugé, de faire trembler un mensonge par le discours rationnel et l’analyse argumentée.) Comment ? Paradoxalement, en prenant le contre-pied de Freud. En relevant un défi lancé par l’inventeur de la chose dont ils ont su s’emparer. En lui portant la contradiction (du moins de prime abord). En effet, c’est Freud lui-même qui a posé que la psychanalyse n’était pas représentable par l’image. Ni ses concepts, ni sa pratique.
Ce qui est vrai, du reste. Et il y a fort à parier que, ni Eric Toledano, ni Olivier Nakache n’ont jamais prétendu représenter la psychanalyse. Mais ce qu’ils ont compris devant ce massif de l’irreprésentable, c’est que c’est là le moteur de la représentation. Qu’une représentation digne de ce nom ne désire que l’irreprésentable. Ce qui ne signifie pas qu’elle finit par le réduire, l’irreprésentable, à ce qui est représenté, mais qu’elle tourne autour de ce qui toujours et malgré la représentation, reste irreprésentable. Freud devient, par là même, dans cette série pour la télévision, pris aux mots et source du désir de représentation.
C’est pourquoi, cette mise en images, par la simple suite de champs-contrechamps finement rythmés, permet de donner à penser et à voir ce que c’est, ce qui se joue, ce qui se passe, avec et dans la psychanalyse (...)
Ecouter cette micro-nuance qui se donne dans la parole, et non seulement dans ce qui se dit, mais encore dans ce qui ne se dit pas dans ce qui se dit, c’est cela l’accueil de l’oreille de l’analyste. Accueillir est écouter. Ralentir. Prêter son oreille à ce qui prend le nom ou la figure du rebut, du déchet, des fissures, des marges, de ce que soi-même ou les autres le plus souvent, jettent, repoussent, oublient, éloignent, excluent, c’est bien le vif de l’analyse. Art des détails. Oxymoron magnifique de Lacan : science de ce qui ne marche pas. En thérapie marche parce que c’est la mise en image de l’accueil de ce qui ne marche pas.
Un dernier mot. Le plus important puisqu’il y va de ce qui vient. Ce faire avec ce qui arrive, et quoi que soit ce qui arrive, fait de la psychanalyse un synonyme du politique. Comment ne pas voir cela dans ce autour de quoi tourne obsessionnellement la série elle-même : la terreur qui s’est abattue sur le pays le 13 novembre 2015. (...)
l’inquiétude pour la survie des corps parlants les uns avec les autres. Où s’entremêlent inextricablement le singulier et le multiple, l’unique de la parole et le pluriel des corps. Sans cela, il n’y a ni psychanalyse, ni politique. En thérapieest la mise en images de ce fait étonnant que le lien social s’allonge (ou s’assoit, qu’importe) tous les jours et plusieurs fois par jour sur le divan des psychanalystes.
Il n’y a donc pas de psychanalyse qui ne soit engagée par la chose politique. Que les psychanalystes l’acceptent ou le refusent, d’ailleurs. Faire avec ce qui arrive oblige. Oblige n’en déplaise à certain.es, à être altéré sans cesse par ce qui vient et à se laisser interroger et se reprendre, se théoriser, se repenser depuis et avec, oui avecles questions postcoloniales, les différences sexuelles, les identités multiples et mouvantes, les mises en questions trans les plus radicales. Etre dérangé et plongé dans le non savoir de ce qui arrive, avoir à bricoler avec cela, c’est le quotidien de la psychanalyse et ce quotidien est l’extraordinaire même. (...)
En thérapie montre qu’à venir est l’autre nom de la psychanalyse. On l’avait certainement oublié. Il faudra penser à une rétrocession d’honoraires.