
À la faveur de la nouvelle donne économique, numérique et écologique, de nombreuses villes anticipent et favorisent le retour de la production industrielle et artisanale. La mutation a commencé.
Ce n’est pas dans leur ADN. Et pourtant, de plus en plus de villes se trouvent directement impliquées dans des politiques publiques en faveur du retour de la production matérielle sur leur territoire. Toutes n’ont pas les mêmes raisons politiques de le faire : certaines doivent reconvertir des friches, d’autres veulent contribuer à l’emploi d’un monde ouvrier à la peine. Parfois, elles se sont convaincues que l’avenir de la planète suppose la relocalisation d’activités. D’autres, enfin, pensent que c’est en elles que se joue la compétition économique internationale – dont la compétition industrielle – et qu’il faut donc inventer ce nouvel âge. Qu’elles se croient « nouveau monde », se pensent fidèles à leur passé ou se veuillent écolos, les villes se préoccupent désormais de la production en leur sein. (...)
Ce lien ville-industrie n’est évidemment pas nouveau. L’histoire de la plupart des villes est liée à l’implantation d’activités entre 1850 et 1950. Beaucoup de cités agricoles se sont développées au rythme d’industries à la recherche de terrains et de bassins d’emploi. (...)
Sur une grande part du territoire français, l’industrialisation fut le moteur du développement urbain. Les collectivités locales n’avaient guère de pouvoir face aux capitaines d’industrie, et la ville vivait au rythme imposé par l’usine.
Reconvertir les friches industrielles
Mais, à partir des années 1960, la désindustrialisation a laissé sur le carreau les ouvriers et créé de grandes friches industrielles. Les villes sont alors devenues, par nécessité, les actrices d’une mutation d’ampleur. (...)
Au cours des années 80-90, de nouvelles stratégies voient le jour. Bobigny, par exemple, transforme les anciens terrains d’industrie en lieu de formation : une université dans une ancienne imprimerie ; un campus des métiers sur des terrains désormais sans affectation. (...)
Plus ponctuellement, les anciennes usines sont reconverties en lieux de culture, comme à Nantes où la fabrique de biscuits LU devient le Lieu unique. L’industrie ne revient pas, mais on installe sur ses terres des lieux de production contemporains, des lieux de création et de formation. La filiation est assurée.
Préparer le retour de l’activité
Ces réponses à la désindustrialisation se développent et de nombreux projets urbains continuent de se projeter sur des terrains hier encore dominés par une activité industrielle. Mais une nouvelle approche émerge : il s’agit désormais moins de panser les dégâts laissés par les paquebots abandonnés sur des sols pollués que d’imaginer un possible retour de la production dans le cœur des villes, à la faveur de la révolution numérique et de l’approche écologique.
Cette prospective se retrouve dans les politiques concrètes de nombreuses collectivités territoriales. (...)
Il y a plus. Il ne s’agit pas seulement de favoriser un retour de locaux d’artisanat ou de petites productions, mais aussi d’accompagner une révolution industrielle et d’associer ces lieux de production au développement d’outils mutualisés pour le prototypage et la fabrication en petites séries. Souvent sous l’impulsion des collectivités locales, les « fab labs » prolifèrent et mêlent artisans, créateurs et autres « makers » – les faiseurs dans la langue de Shakespeare.
Décentraliser la production
Les plus visionnaires annoncent la décentralisation et la démultiplication des productions. (...)
Désormais, la contrainte d’acheminer des matières premières et de les évacuer, une fois la transformation faite, se pose dans des termes nouveaux. Les semi-remorques et les larges infrastructures qui leur sont nécessaires seront probablement bannies des villes. Mais l’acheminement de matériaux vers l’atelier du quartier est compatible avec la ville et le voisinage. La révolution technologique qui permet la fabrication en plus petites quantités serait le nouvel eldorado de la production en ville. Des collectivités veulent l’anticiper. (...)
C’est peut-être dans cette démultiplication des lieux, dans l’anticipation de locaux pour les accueillir que se joue le retour en ville de la production. La révolution numérique en cours est une opportunité. Elle ne se concrétisera que si on la prépare. La pression foncière est si forte que le maintien d’activités, même ultra-contemporaines, ne peut résulter que d’une volonté… politique !