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Endométriose : enquête sur ces thérapeutes "alternatifs" qui exploitent la souffrance des femmes
#endométriose
Article mis en ligne le 5 novembre 2022

Découragées de ne pas avoir de perspective de guérison et minées par des douleurs intenses, de nombreuses femmes atteintes d’endométriose font le choix des médecines alternatives. Mais celles-ci peuvent se révéler douteuses, voire dangereuses.

C’est une maladie peu connue. Pourtant, près de deux millions de femmes en sont atteintes en France. "L’endométriose démarre dès les premières règles pour ne cesser de se développer qu’à la ménopause", explique le docteur Érick Petit, radiologue et responsable du centre de l’endométriose à l’hôpital Saint-Joseph à Paris. Il faut en moyenne dix ans pour la diagnostiquer. Elle se manifeste par "un échappement des cellules de la muqueuse utérine qui vont coloniser la surface des organes et même entrer dans certains autres organes, comme les ovaires, les trompes, la vessie ou le rectum". Les femmes qui en sont atteintes peuvent ressentir des douleurs intenses, à la limite du soutenable. La recherche "ayant dix ans de retard", d’après Érick Petit, il n’existe à ce jour aucun traitement pour en guérir. On peut seulement en atténuer les effets.

Espérant trouver le moyen d’apaiser leurs souffrances, certaines patientes se détournent donc de la médecine traditionnelle. Selon une analyse préliminaire de l’étude ComPaRe sur l’endométriose lancée en 2019 par Marina Kvaskoff, épidémiologiste à l’Inserm à l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif, 65% des femmes atteintes d’endométriose ayant répondu à l’enquête ont eu recours au moins une fois à une pratique alternative comme l’ostéopathie, le yoga, la méditation ou la sophrologie. Certaines de ces pratiques non médicamenteuses sont autorisées par la Haute autorité de santé (HAS) depuis 2017. Elles sont d’ailleurs intégrées dans le projet thérapeutique des patientes souffrant d’endométriose dans certains hôpitaux aux côtés de soins de médecine dite traditionnelle. La Haute autorité insiste cependant : ces thérapies ne doivent pas se substituer aux traitements médicaux et les patientes qui les choisissent doivent en informer leur médecin.

Des thérapies alternatives très onéreuses

Certaines femmes optent pourtant pour ces thérapies alternatives hors de tout suivi médical. (...)

La cellule investigation de Radio France a repéré des personnes qui se présentent comme des spécialistes de l’endométriose et qui proposent des services intitulés : "Prendre soin du féminin", "coach bien-être endo" ou encore "transforme ta vie grâce à l’endométriose", comme on peut le voir dans certaines descriptions de comptes Instagram. Ces services ont un prix. Sur deux sites, on trouve par exemple une consultation à 110 euros et "six rdv de 45 minutes et échanges illimités", pour 450 euros.

"Si tu en as vraiment envie, tu trouveras les moyens"

Pour en savoir plus, nous avons contacté une naturopathe qui propose des accompagnements en visioconférence afin, dit-elle, d’aider les femmes "à mieux vivre avec l’endométriose". Nous avons eu recours au procédé de l’infiltration et nous sommes présentées comme des malades tout en enregistrant à son insu nos entretiens avec elle.

Lors d’un premier échange gratuit, la question du budget est évoquée. La naturopathe insiste pour que nous choisissions la formule la plus chère : 870 euros pour trois mois d’accompagnement et "huit séances d’une heure en visio". Devant notre refus, elle explique à l’une d’entre nous que la formule la moins chère est proposée aux "femmes qui, au fond, ne veulent pas avancer, ce qui n’est pas ton cas, j’ai cru comprendre". La naturopathe propose alors un paiement en trois fois, puis insiste : "Pour moi, ça fait déjà partie du travail intérieur que d’aller trouver une somme d’argent. Je sais que si tu en as vraiment envie, tu trouveras les moyens. Et déjà, ça va faire bouger les choses." Au final, nous prenons la formule à 320 euros pour trois entretiens en visioconférence.

Une maladie "révélatrice d’un dysfonctionnement familial"

Au fil des entretiens, la naturopathe précise sa vision de l’endométriose. Si une femme est malade, affirme-t-elle, c’est qu’il y a une raison : "C’est parce que le corps a eu la place pour ça." Selon elle, une des causes possibles est à rechercher "dans le passé de sa famille, sur le plan générationnel, dans les différentes relations entre les femmes de sa famille, sa mère, ses tantes, ses sœurs". Et elle poursuit : "La maladie peut s’installer pour pleins de raisons au sein des membres d’une famille. Tu es celle qui vient révéler un dysfonctionnement dans la lignée de femmes. La vie t’a chargée de résoudre ce problème."

La naturopathe attribue aussi l’endométriose (ainsi que le cancer du sein) à un problème de féminité (...)

Le "féminin blessé"

Ces théories ne sont pas éloignées de celles propagées par certains tenants du "féminin sacré". Il s’agit d’un concept de développement personnel selon lequel des femmes doivent se reconnecter à leur nature divine. Un mouvement qui connaît un essor important depuis plusieurs années en France et dans le monde. La cellule investigation de Radio France a contacté une femme faisant partie de cette mouvance et se présentant comme spécialiste de l’hypnose et sexothérapeute (un métier qui n’est pas règlementé par les autorités de santé en France). Elle affirme avoir accompagné des "centaines de femmes atteintes d’endométriose" et propose une session de dix séances en visioconférence sur dix mois pour 570 euros, ou payables à l’unité (57 euros) intitulée "guérison du féminin blessé". (...)

Nous avons, là encore, infiltré une de ces réunions ainsi que le groupe Telegram mis en place pour "créer une communauté où chacune se soutient avec un objectif de guérison". Les consignes sont strictes : les téléphones et les portes doivent être fermés et le contenu des échanges confidentiel. Les participantes, une vingtaine, toutes atteintes d’endométriose, sont originaires de la France entière : de la Rochelle à la Haute-Savoie, en passant par la Seine-Saint-Denis, Marseille, Guéret et même Tournay, en Belgique. Chacune doit avoir écouté ce que l’organisatrice appelle des "audios" ou des vidéos qu’elle poste sur sa chaîne. On se tutoie, pour gagner en "sororité". "Ce soir, pas de blabla, mais des transformations", explique la sexothérapeute, promettant elle aussi la guérison : "On est à un niveau énergétique où les guérisons vont beaucoup plus vite aujourd’hui."

Un utérus "pas clean" après un avortement (...)

Ces discours, qui ne reposent sur aucune base scientifique, exaspèrent le corps médical. "On sait bien que les femmes qui ont vécu des fausses couches peuvent avoir des grossesses sans aucune problème", réagit Frédérique Pernotte, sage-femme et coordonnatrice du réseau Resendo (un réseau de professionnels de l’endométriose). Concernant l’allusion à l’avortement, elle y perçoit comme "une pression sous-jacente, insinuant que ce n’est pas bien d’avoir fait des IVG dans sa vie". Cette professionnelle de santé estime que la sexothérapeute autoproclamée "cherche à trouver un coupable pour soulager le poids des gens".
Des femmes enfin "écoutées"

Durant la visioconférence, la sexothérapeute fait une séance d’hypnose. (...)

Que certaines femmes adhèrent à ce discours ne surprend pas Frédérique Perrotte : "Pendant deux heures, ces femmes sont écoutées après plusieurs années à ne pas l’avoir été par le personnel médical ou autre. Evidemment que ça fonctionne." Mais pour elle, "souffrir d’endométriose n’est la faute de personne. Ni de la femme atteinte, ni de la mère ou la grand-mère, ni d’un jumeau à qui on aurait pris une place".

Même son de cloche du côté de la Miviludes, l’organisme chargé de lutter contre les dérives sectaires. Dans son rapport présenté cette semaine, elle relève pour la deuxième année consécutive que les stages de "Féminin sacré" présentent des risques de dérives : "Une vigilance s’impose. En effet, il est recommandé que le dépôt de la parole liée à un événement traumatique se fasse auprès d’un professionnel qui saura assurer l’écoute et l’accompagnement de la personne. Or, durant ces stages, il est affirmé que si une femme a des règles douloureuses, c’est qu’elle n’est pas ‘en accord avec sa nature profonde de femme’. En d’autres termes, elle serait responsable de cette souffrance." Les prix de ces séances sont également jugés "très souvent exorbitants" par la Miviludes. En conclusion, elle précise : "Cette quête perpétuelle de l’harmonie entre son corps et son esprit, en d’autres termes du bonheur ultime, doit être prise avec beaucoup de vigilance au motif que certaines femmes se sont retrouvées isolées, en rupture soudaine avec leur environnement familial." (...)