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Enjeux du fichage politique
Article mis en ligne le 12 avril 2022

La France glisse-t-elle progressivement vers un régime autoritaire ? Tel est le point de vue de Maryse Artiguelong, vice-présidente de la LDH, qui estime que toute la société civile doit s’investir pour défendre les libertés publiques.

« La surveillance des citoyens au nom de l’ordre public, tantôt généralisée et tantôt ciblée sur des ‘classes dangereuses’ est vieille comme l’État moderne. Il ne s’agit pas seulement des pratiques de régimes autoritaires telles que le fichier des Juifs de Vichy : c’est dès le règne de Louis XIV que l’on fiche prostituées, mendiants, nomades et mal-pensants ; et l’on sait aussi le profit que tira la police de ‘l’invention’, deux siècles plus tard, des empreintes digitales… sous un régime républicain et démocratique. »

C’est ainsi qu’en 2009 la Ligue des droits de l’Homme (LDH), ouvrait sa résolution de congrès, « Société de surveillance, vie privée et libertés ».
Des changements depuis 2009 ?

Dans le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective « Répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés », les sénateurs constatent la méfiance de la population vis-à-vis des outils numériques proposés par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie de Covid (StopCovid, puis TousAntiCovid) (...)

Une défiance largement justifiée

Dans la période récente, il faut bien admettre que les gouvernements successifs n’ont rien fait pour dissiper cette idée d’un « État policier ».

Sans remonter à 1974 et au projet d’interconnexion de plusieurs fichiers administratifs sous le nom de SAFARI (projet révélé par le journal Le Monde sous le titre « La chasse aux Français »), la liste des fichiers que la LDH a combattus est longue. (...)

la mise en place d’une Commission Informatique et Libertés qui donna en 1978 la loi « Informatique et Libertés », créant alors la première autorité indépendante, la CNIL, chargée de veiller à ce que l’usage de l’informatique ne puisse pas nuire aux individus. Ainsi la loi interdit le fichage des opinions politiques des individus (par l’État ou par un acteur privé) au même titre que celui de l’origine ethnique ou de l’orientation sexuelle. Ces données sont considérées comme des informations particulièrement sensibles. Mais cette loi, dont il faut souligner le caractère visionnaire de ses rédacteurs à une époque où l’internet n’était même pas imaginé, a subi de nombreuses révisions, liées à l’évolution des technologies. L’une d’elles, lourde de conséquences, est la perte du droit d’opposition de la CNIL à la création de fichiers de police. La CNIL n’a plus depuis 2004 que la possibilité de donner un avis non contraignant sur les décrets de création de fichiers.

(...) Une liste infinie de fichiers dangereux pour les droits et libertés…

Pour la défense des droits et des libertés, la LDH s’est toujours opposée à la surveillance de l’État, au fichage indiscriminé des citoyens et a toujours veillé au respect de la vie privée, garant de la liberté de conscience et de la liberté d’expression. Les combats les plus emblématiques ont été ceux menés contre une série de fichiers de police ou administratifs : Faed, Fnaeg, Stic et Judex fusionnés en TAJ, Edvige, Evirsp, Cristina, TES et dernièrement ADOC.

Ainsi, la lutte contre le fichier EDVIGE (Exploitation Documentaire et Valorisation de l’Information Générale) en 2008 a certainement été le combat le plus retentissant. Une campagne de forte mobilisation avait permis de faire reculer le gouvernement. (...)

Des évènements qui ont renforcé la surveillance…

Si les combats menés par de nombreux défenseurs des libertés ont permis quelques reculs, de nombreux évènements ont entraîné des logiques de plus en plus sécuritaires de la part des gouvernements successifs, et une volonté de surveiller de plus en plus de personnes. Les attentats terroristes ayant touché la France (2012, 2015, 2016), les manifestations des « gilets jaunes », puis la pandémie de Covid-19 ont prétendument « justifié » la mise en place de l’état d’urgence terroriste – puis de l’état d’urgence sanitaire – entraînant et justifiant une série de mesures liberticides. (...)

Le journaliste Marc Rees a ainsi pu dénombrer, de 2012 à 2017, pas moins de quatorze lois à caractère sécuritaire.

Parmi elles, la loi renseignement, validée par le Conseil Constitutionnel le 23 juillet 2015 malgré les combats des défenseurs de libertés. Nous avions pourtant dénoncé ses finalités, si larges que toute « atteinte à l’ordre public », comme la participation à une manifestation, peut faire l’objet d’une mise sur écoute, voir toutes ses actions sur internet surveillées avec les systèmes des « boites noires ». De même, nous avions dénoncé les pratiques illégales des services secrets que cette loi entérinait, et la mise en place de méthodes de surveillance lourdement intrusives sans autre garantie pour les libertés individuelles et le respect de la vie privée qu’une commission de contrôle, la CNCTR (Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement), aux pouvoirs réduits. Nous avions surtout déploré la mise à l’écart du juge, gardien des libertés.
Un mouvement qui se poursuit depuis 2017

Depuis 2017 le gouvernement et les élus de la majorité présidentielle ne sont pas resté inactifs en matière de surveillance et nous avons assisté à une poursuite de ces mesures et une aggravation de leur caractère liberticide. (...)

Sous prétexte de « protéger ceux qui nous protègent », la « loi pour une sécurité globale préservant les libertés » du 25 mai 2021 renforce l’impunité des forces de l’ordre mises en cause dans des violences graves ou mortelles.

(...) Ces dispositions, ainsi que l’utilisation généralisée des drones et des caméras embarquées qui ouvre des perspectives de surveillance sans précédent, ont encore donné lieu à une mobilisation spectaculaire (y compris des plus hautes instances internationales de défense des Droits de l’Homme), parce qu’elles entravent directement la liberté d’opinion, la liberté d’informer et d’être informé, la liberté d’expression, d’association, de manifestation et de contestation légale. Le Conseil Constitutionnel a censuré ces dispositions.

La France glisse sûrement vers un régime autoritaire

(...) Toutes ces mesures liberticides conduisent à considérer que la France glisse sûrement vers un régime autoritaire, un État illibéral, un État de police. En effet, lorsque le pouvoir décide du sort des individus (y compris des mineurs de 13 ans) à partir des données qui concernent le passé, le présent, la vie familiale, la vie sociale, la santé, et les opinions politiques et religieuses supposées, la sécurité juridique est compromise et l’État de droit menacé. Il est urgent que la société civile tout entière en prenne conscience.