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Mediapart
Enquête ouverte après des propos racistes au sein de l’Ecole nationale de la magistrature
Article mis en ligne le 24 avril 2021

Dans des documents internes consultés par Mediapart, des inscriptions racistes telles que « la france aux français » ou « dehors les arabes » ont été rédigées par des étudiants de la dernière promo de l’ENM, qui deviendront magistrats dans quelques semaines. Saisi par la direction de l’école, le parquet de Bordeaux ouvre une enquête.

Cette semaine est cruciale pour les étudiants de l’École nationale de la magistrature, qu’on appelle aussi les « auditeurs » de l’ENM. La fin des études est en effet très proche pour la promo 2019, qui vient de passer son examen final. Les 309 élèves, dont l’établissement est situé à Bordeaux, attendent les résultats censés tomber le 26 avril prochain. Chacun des futurs magistrats saura alors, selon l’addition de ses notes, où il pourra être affecté et dans quelle juridiction. Mais depuis une semaine, cette même promo traverse aussi une crise inédite.

Le 13 avril dernier, les étudiants reçoivent leur note de manière individuelle. Ils savent qu’ils doivent attendre le 26 avril prochain et la délibération finale du jury pour avoir un aperçu du fameux classement qui permettra à chacun de savoir ce qu’il peut espérer comme affectation, la juridiction parisienne n’ayant pas la même valeur que la toulousaine par exemple. (...)

Un étudiant de l’ENM décide alors de créer un classement informel dans un document partagé. Le principe est simple : les étudiants volontaires inscrivent leur note anonymement dans un tableur et peuvent espérer avoir un aperçu approximatif du classement final. La plupart jouent le jeu puisque près de 230 élèves sur les 309 que compte la promo le remplissent. Sauf que quelques heures après sa création, certains auditeurs dérapent.

Les étudiants qui accèdent au document découvrent plusieurs inscriptions problématiques. Des propos potaches, des propos grossiers à caractère sexuel et des propos parfois racistes. « Non mais dehors les arabes », « la france aux français », « votez Le Pen », ou « oh lala encore une racaille », peut-on ainsi lire parmi les multiples inscriptions. Rapidement, certains élèves font des captures d’écran, se préviennent entre eux et s’interrogent sur la nécessité de prévenir ou non la direction. (...)

« Quand j’ai voulu aller voir le tableau le lendemain, tout avait été effacé mais un avertissement avait été ajouté par le créateur du document », témoigne une auditrice auprès de Mediapart. « Rappel : les insultes à caractère raciste sont non seulement un manquement déontologique à vos futures fonctions mais également une infraction pénale », pouvait-on lire dans le nouveau document expurgé de tout propos raciste le 14 avril. Des délégués décident toutefois de remonter l’incident à la direction, photo à l’appui. (...)

Jeudi 15 avril, Samuel Lainé, directeur adjoint chargé des recrutements, de la formation initiale et de la recherche de l’ENM, envoie un courriel à l’ensemble de la promo. Il rappelle le serment qui engage tous ses étudiants qui ont juré de se « conduire en tout comme un digne et loyal auditeur de justice ». (...)

Malgré la réactivité de la direction, ce message frustre de nombreux étudiants, qui attendaient une réponse « plus ferme ». « Beaucoup d’auditeurs de la promo, dont moi, ont été choqués par cette réponse. La direction ne précise pas qu’elle va ouvrir une enquête interne ou tenter d’identifier les auteurs des propos racistes », regrette un étudiant. « J’y vois une forme d’impunité. Les auteurs de ces inscriptions vont devenir magistrats dans quelques semaines mais peuvent tranquillement tenir des propos racistes sans risquer de sanctions », ajoute-t-il, précisant que certains de ses camarades « savent qui sont les auteurs, mais taisent les noms pour les protéger ».

Mercredi 21 avril, 132 auditeurs signent une tribune pour se désolidariser, mais aussi pour faire pression sur l’administration. Le but : « Inciter la direction à avoir un message plus ferme et montrer qu’il n’y a pas d’impunité. » (...)

« Nous avons bien pris note de la réponse de l’École apportée à ces faits par courriel du 15 avril 2021. […] Nous attendons à présent que toute la lumière soit faite sur ces événements, que les auteurs soient identifiés, et ce en toute transparence. »

Sollicitée par Mediapart, la direction de l’École nationale de la magistrature réfute tout laxisme. D’après nos informations, confirmées par le parquet de Bordeaux, l’école a en effet, dès le 15 avril, saisi le procureur sur la base de l’article 40 pour lui signaler ces inscriptions à caractère raciste. Une enquête a été ouverte et confiée à la Direction centrale de la police judiciaire de Bordeaux (DCPJ) le lendemain.

« On a eu deux réactions concomitantes », explique Samuel Lainé. « La première était de rappeler que le ou les auteurs de ces propos ont prêté serment mais qu’ils ont aussi, déjà en tant qu’étudiants, des obligations déontologiques. Et que ces déviances-là entrent en totale contradiction avec les valeurs de l’école », précise le directeur adjoint.

La seconde réaction a donc été de saisir l’autorité judiciaire afin qu’elle puisse identifier le ou les auteurs. Mais pourquoi ne pas l’avoir annoncé aux étudiants de l’ENM ? « Nous ne voulions pas prendre le risque de donner des outils permettant une disparition des preuves. Notre premier objectif est de garantir l’identification possible des auteurs », défend Samuel Lainé. (...)

La direction compte en effet sur l’enquête pour parvenir à sanctionner les auteurs des propos avant qu’ils ne prennent leur poste de magistrat en septembre. (...)