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l’Express
Enquête sur le coût de la vie en prison
Par Franck Dedieu et Géraldine Meignan, publié le 22/02/2011
Article mis en ligne le 11 juillet 2018
dernière modification le 10 juillet 2018

Logés, blanchis, nourris, les prisonniers ? En réalité, la vie derrière les barreaux coûte très cher aux plus démunis : tout est facturé à un prix exorbitant. Et trop peu d’entre eux peuvent travailler, pour un salaire dérisoire. Enquête exclusive.
Des tarifs de haut vol
Bouteille d’eau : + 102%
Badoit 1,5 l : 1,21 euros dans une prison de Picardie, contre 60 centimes dans une grande surface voisine

Céréales : + 38% (...)

"En prison non plus, le salarié ne peut se permettre de perdre son job. Car si dehors on se plaint de la vie chère, derrière les murs, elle est exorbitante",(...)

La réalité carcérale, très loin de la vision populaire du "logé, nourri, blanchi", est bien celle-là : la vie en prison coûte cher aux détenus, et l’argent, dedans plus encore que dehors, est le nerf de la guerre.

Le train de vie derrière les barreaux se joue déjà à l’épicerie - le "cantinage", dans la langue pénitentiaire. Chaque établissement assure évidemment un service gratuit de restauration à l’attention des prisonniers, mais il héberge en plus un véritable supermarché très tentant pour chacun d’eux. Le détenu ne flâne pas dans les rayons pour comparer les prix, non : il coche les produits souhaités sur un catalogue. Officiellement, l’inventaire de la supérette ne doit pas sortir de la prison, mais L’Expansion s’en est procuré plusieurs exemplaires. Surprise : les biens de première nécessité sont facturés au prix fort. (...)

Une étude réalisée en mai 2010 par les équipes de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, et portée à la connaissance de L’Expansion,pointe les marges bénéficiaires du prestataire privé Avenance (Groupe Elior) dans une prison de Picardie : "Certains articles valent le double de ce qu’ils coûtent dans la grande surface voisine", résume le document.

En théorie, les prix des denrées devraient être très encadrés(...)

"Le passage du public au privé fait augmenter les prix de 25 % en moyenne", estime Jean-Marie Delarue. (...)

au-delà des prix pratiqués, les supérettes carcérales s’imposent aux détenus comme un point de passage obligé si l’on veut s’assurer un supplément alimentaire.(...)

Certains détenus disposent de seulement 1 700 calories par jour, à peine plus de la moitié de leurs besoins", estime Jean-Marie Delarue. Alors, question embarrassante : une pénurie serait-elle organisée dans la gamelle pour conduire les détenus à devenir de bons clients de l’épicerie ? "Faux. Des diététiciens surveillent scrupuleusement l’équilibre alimentaire des repas. Mais il n’est pas facile de constituer un menu avec les contraintes de prix très serrées de l’administration", répond Eric Roussel. (...)

Avec notamment une distribution parcimonieuse de produits d’hygiène. Dans certains établissements, c’est par nécessité absolue que les détenus surpaient leur papier toilette, leur dentifrice et leur eau de Javel. Si l’on en croit un rapport de visite au centre pénitentiaire de Lannemezan publié en septembre 2009, les détenus doivent acheter eux-mêmes leurs sacs-poubelle s’ils veulent garder leurs cellules à peu près présentables.

Louer une télé, un véritable "impôt carcéral"(...)

"Le privé surfacture, mais la pénitentiaire prend aussi sa part du butin carcéral en louant les téléviseurs à des prix scandaleux", s’étrangle François Korber. Cet avocat de la coursive connaît presque de tête tous les tarifs télé des prisons françaises (...)

Des établissements comme celui de Lons-le-Saunier ne facturent pas la location par téléviseur, mais par détenu. Pour deux reclus dans la même cellule, le bailleur encaisse deux fois.(...)

Selon un rapport de la Cour des comptes publié en 2010, la maison d’arrêt de Montbéliard affiche 39 % d’excédent. Un calcul financier donne même 78 % de rentabilité à la prison de Lons-le-Saunier (voir illustration page 62).

"Il ne s’agit pas de donner du caviar aux reclus, mais de leur permettre de vivre dignement et d’indemniser les victimes."

Mais cet "impôt carcéral", comme les détenus l’appellent, ne tombe pas exactement dans les caisses de l’administration. Il vient gonfler celles des associations socioculturelles, le plus souvent gérées par les surveillants de prison. (...)

l’argent des télés sert à financer des activités culturelles (théâtre, musique, spectacles...), sportives (équipements, leçons) et sociales (aide aux plus démunis, ceux qu’on appelle "les indigents"). "Autrement dit, avec ce régime, les détenus financent eux-mêmes leurs activités et leur réinsertion, s’insurge Marie Crétenot, de l’Observatoire international des prisons (OIP). Ce genre de mission devrait relever du ministère de la Justice." Plus choquant : la caisse des associations sert parfois à boucler les fins de mois du centre de détention. (...)

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coût de la vie en prison - le 22 août 2017