
La stratégie de l’Union populaire de s’ouvrir à de nombreux acteurs et actrices des mobilisations dans les quartiers a contribué au succès du vote Mélenchon. Tous espèrent que la dynamique ne se refermera pas au profit des logiques d’appareils.
À Montreuil, comme dans de nombreuses villes des quartiers populaires, les scores du candidat de l’Union populaire sont vertigineux. « Staliniens », diraient les plus taquins. Dans les dix grandes communes les plus pauvres de France métropolitaine [1], Jean-Luc Mélenchon a reçu plus de 50 % des suffrages exprimés. Son plus « petit » score ? 52,5 % à Roubaix (Nord), tandis qu’il dépasse les 60 % dans la moitié de ces villes. Il suffit d’ailleurs, de regarder une carte des résultats, commune par commune, pour voir que les quartiers populaires des grandes métropoles ont largement plébiscité le leader de la France insoumise (LFI). Que ce soit dans les quartiers nord de Marseille, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, ou dans les banlieues populaires de Lyon (Bron, Saint-Fons…), de Lille, il est arrivé en tête à chaque fois. À la loupe, le constat est encore plus écrasant. À Roubaix par exemple, connue pour son hétérogénéité sociale, ce sont les bureaux de vote situés dans les quartiers les plus populaires de la ville qui ont massivement voté Mélenchon, avec des taux allant jusqu’à 77 %.
Des mobilisations locales à l’Union populaire
Face à ces chiffres, ce n’est pas tant la couleur politique qui interpelle – les banlieues populaires ont une tradition politique ancrée à gauche – que l’ampleur du phénomène. Une simple comparaison avec les résultats du premier tour de la présidentielle de 2017 permet vite de s’en rendre compte. À Aubervilliers, il est passé de 40 à 60 %, à Creil (Oise) de 34 à 56 %... À l’échelle de la Seine-Saint-Denis, Jean-Luc Mélenchon a gagné 16 points entre 2017 et 2022.
Mais comment expliquer une telle augmentation ? « Après 2017, on a décidé de se tourner encore plus vers les quartiers populaires. J’avais la conviction que les 600 000 voix qui nous manquaient pour passer au second tour étaient là. On les a trouvées d’ailleurs, mais ça n’a pas suffi. La gauche doit avoir les voix des quartiers populaires, une vraie implantation, comme avait le Parti communiste à l’époque », explique Éric Coquerel, député LFI en Seine-Saint-Denis. Dès 2018, Jean-Luc Mélenchon tient un grand meeting à Épinay-sur-Seine pour donner sa vision des quartiers populaires. (...)
Rachel Kéké, issue de la mobilisation des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles, Sofia Chouviat, fille de Cédric Chouviat tué dans lors d’un contrôle de police, ou Aline Lo Tutala, qui anime une association pour en finir avec les passoires thermiques – ces logements très mal isolés qui obligent leurs occupants à dépenser une fortune pour se chauffer ou à se condamner à avoir froid – ont, par exemple, rejoint le Parlement populaire. Leurs luttes sont nées au cœur des milieux populaires, loin des partis politiques. « Le parlement populaire, c’est l’occasion pour moi et tous les locataires qui ne sont pas entendus par les pouvoirs en place d’être enfin écoutés », explique Aline Lo Tutala, qui, avant, « n’avait jamais fait de politique ». Leur force de mobilisation locale devient une force pour l’Union populaire. « C’est la concrétisation de ce que tous les militants ont fait sur le terrain, et c’est aussi un ras le bol général. L’Union populaire, c’est le peuple », assure Diangou Traoré. (...)
Plus qu’un succès par le haut, la présence de ces militantes fait le lien entre politique institutionnelle et attentes de terrain. Depuis des années, la gauche boudait les quartiers. Cette dynamique inédite, expérimentale, semble avoir porté ses fruits dans les urnes. Pour Éric Coquerel, « le plus important c’est de porter politiquement les préoccupations des quartiers ». Les thématiques sociales issues de ce travail collectif ont réussi cet objectif. (...)
Un succès de l’Union populaire donc ? Pas seulement. « Ce n’est pas un vote d’adhésion. C’est de l’instinct de survie, poursuit Aly Diouara. En quelque sorte, c’est un repli vers une personne qui va nous sortir de l’abîme, nous éviter le précipice. » « Pour comprendre ce qu’était le parlement de l’Union populaire, il fallait être très engagé et au courant. Sur un vote aussi large et massif, ce n’est pas possible que ce soit ça qui ait créé ce résultat. Pour moi ce résultat va bien au-delà », nuance Youcef Brakni, militant du Comité Adama qui lutte pour « la vérité et la justice » sur la mort, suite à un contrôle de police, d’Adama Traoré. Dans une campagne électorale marquée par la montée des discours stigmatisants et racistes à l’égard des habitants de ces quartiers, Jean-Luc Mélenchon a incarné un espoir, un enthousiasme. (...)
Le candidat LFI est celui qui a su le mieux exprimer les angoisses, les attentes d’une génération », résume Youcef Brakni. (...)
Ni casse sociale, ni extrême droite
Pour bon nombre de nos interlocuteurs, le quinquennat Macron a également poussé au vote pour Jean-Luc Mélenchon. « Les habitants des quartiers populaires ont eu conscience que la politique du gouvernement s’est faite contre eux », note Julien Talpin. « Entre les Gilets jaunes, la crise sanitaire, les violences policières, les quartiers populaires ont été frappés de plein fouet par le quinquennat d’Emmanuel Macron », abonde Diangou Traoré. Ainsi, face au rejet d’une extrême droite les stigmatisant plus que jamais et au refus de revivre cinq ans sous Emmanuel Macron, de nombreux habitants des quartiers populaires cherchent une alternative viable. (...)
« La jeunesse qui s’est mobilisée contre les violences policières a largement voté Mélenchon, évidemment que nous, le Comité Adama, on y a participé, assure Youcef Brakni. On a mobilisé des dizaines de milliers de personnes dans la rue en juin 2020. Pendant ce quinquennat, cette jeunesse aspirait à autre chose. Ces mobilisations ont aussi participé au changement de ligne de La France insoumise qui a dû nous prendre en compte. » (...)
Face à l’urgence politique, de nombreux militants et personnalités associatives locales publient, mi-mars, un appel intitulé « On s’en mêle ». Plus de 120 militants des quartiers populaires de toute la France y appellent à voter pour Jean-Luc Mélenchon (...)
Cette tribune, accompagnée d’une pétition, est inédite, tant les mouvements sociaux des banlieues ont eu à cœur, dans le passé, de garder leur autonomie vis-à-vis du monde politique institutionnel. L’action de ces organisations explique aussi, en partie, la forte mobilisation des habitants de ces quartiers en faveur de Jean-Luc Mélenchon. (...)
Pour les législatives, ne pas oublier les quartiers
« Est-ce qu’ils vont réussir à transformer l’essai ? » La question de Tarek Kawtari est à la fois une interrogation et un défi adressé à LFI, et plus largement à la gauche. « La balle est dans leur camp. Avec cette élection, les gens des quartiers se sont affirmés comme au-delà de victimes ou de coupables, mais comme des acteurs de la vie politique, analyse le membre du collectif « Présidentielle, on s’en mêle », réseau national d’acteurs des quartiers populaires. Il y a encore une grande timidité de l’Union populaire sur la question des quartiers. Maintenant, on attend de voir les signaux qu’ils nous donnent, voir si on va aller plus loin. C’est le moment d’intégrer définitivement les acteurs des quartiers dans leur mouvement. Mais on n’est pas dupes, on sait que cette opportunité peut se refermer aussi sec. »
Lors de la mobilisation des parents d’élèves de Saint-Ouen, pour dénoncer le manque de professeurs dans les établissements scolaires de Seine-Saint-Denis.
Lors de la mobilisation des parents d’élèves de Saint-Ouen, pour dénoncer le manque de professeurs dans les établissements scolaires de Seine-Saint-Denis.
© Emma Bougerol
Prochaine échéance et dernier espoir pour peser sur le prochain quinquennat : les élections législatives. (...)
De plus en plus, on entend les habitants en vue des législatives qui disent qu’ils veulent un député qui connaît le terrain », confirme Diangou Traoré.
Éric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, affirme que son parti a entendu l’appel : « On est tous convaincus que c’est nécessaire d’être présents dans les quartiers populaires. On ne peut se présenter comme une véritable force de gauche de rupture sans être solidement implantés dans les quartiers. Ils sont la matrice de toute forme d’émancipation. » Pour l’instant, les modalités d’organisation de la l’Union populaire pour l’attribution des circonscriptions restent floues. (...)
La voix des quartiers, amplifiée par les urnes, ne doit pas être oubliée. « Lors de précédentes élections, on m’a déjà dit : nous on sait faire, pas besoin de vous », témoigne le militant antiraciste Youcef Brakni. Alliance pour les législatives ou pas, les militants s’affairent à maintenir la dynamique des quartiers populaires. « On va continuer à aller dans la rue, les cinq prochaines années sont les nôtres, affirme-t-il. Ça ne tient qu’à nous, à notre force collective. Il n’y a pas de sauveur, c’est à nous de le faire. Si on est ensemble, on gagnera. »