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Et Poutine brandit sa bombe…
Article mis en ligne le 13 mars 2022

Serait-ce le retour des Dr Folamour ? En tout cas, en agitant le grelot de la « dissuasion » pour tenter de se sortir du guêpier ukrainien et faire face aux sanctions, boycott et condamnations venues de partout, Vladimir Poutine peut se vanter d’avoir « réveillé » le spectre de l’ex-guerre froide, et soudain internationalisé ce qui s’annonçait comme une guerre essentiellement régionale, aux marches — et non pas au cœur — de l’Europe.

Le constat a fait long feu : l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), loin de la « mort cérébrale » annoncée en 2019 par Emmanuel Macron, a ressuscité ces dernières semaines.

Longtemps sans vocation, un temps « sans frontière » au point de s’être perdue en Afghanistan, voilà l’Alliance atlantique de nouveau dotée d’un ennemi en bonne et due forme, qui ressemble à l’ancien : c’est la mobilisation tout au long des frontières de la Russie, la mise en alerte des arsenaux nucléaires, des escadrilles de bombardement aériennes, des flottes de guerre, alors que se multiplient les annonces d’aide militaire à l’Ukraine et aux pays d’Europe de l’Est, les mesures de rétorsion tous azimuts, un écheveau de sanctions d’une ampleur inédite, et bientôt un nouveau gonflement des budgets militaires de nombreux pays ... (...)

Le premier choc, après l’étape de la reconnaissance par Moscou, le 21 février, des deux républiques de l’Est, avait été l’avertissement accompagnant l’annonce d’une « opération militaire spéciale » en Ukraine, le 24 février : « Quiconque entend se mettre sur notre chemin ou menacer notre pays et notre peuple doit savoir que la réponse russe sera immédiate et aura des conséquences jamais vues dans son histoire », avait martelé Vladimir Poutine, alors que les premiers bombardements frappaient les installations militaires ukrainiennes, et que les chars commençaient à envahir le pays, rappelant les images des troupes soviétiques du pacte de Varsovie réprimant les insurrections populaires à Budapest, en Hongrie, et Prague en Tchécoslovaquie.

Affirmant ne pas vouloir occuper l’Ukraine, mais seulement la « dénazifier », empêcher le « génocide » des pro-Russes, et la « démilitariser », le numéro un russe n’en avait pas moins appelé également l’armée ukrainienne à renverser son président — des tentatives de diabolisation de l’adversaire vite oubliées, au fur et à mesure que progressaient l’invasion à grande échelle du pays... et quelques déconvenues.

Experts sidérés

Mais c’est une autre petite phrase de M. Poutine qui allait accélérer la prise de conscience internationale, ainsi que les initiatives européennes et otaniennes : le dimanche 27 février, il déclare avoir ordonné de « mettre les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat ». De quoi mettre en ébullition les plateaux des chaînes d’information, où les habituels experts font part aussitôt de leur sidération : « … Il joue avec le feu… brise un tabou… risque maximum… montée aux extrêmes… changement de paradigme… redistribution des cartes… ». Et de provoquer l’ire des hiérarques occidentaux : « Rhétorique dangereuse... irresponsable… inacceptable… fabriquer des menaces qui n’existent pas... ». (...)

Bien que l’usage, dans la « grammaire » de la dissuasion nucléaire, soit de ne pas trop en dire (1), - pour établir ou maintenir un niveau suffisant d’incertitude et d’autonomie, et pour ne pas effrayer a priori les populations - le régime russe incarné par Vladimir Poutine n’a pas manqué d’en agiter la menace : ce fut le cas déjà en 2014, lors de l’annexion de la Crimée ; et à trois reprises ces derniers jours, les 8, 24 et 27 février 2022.

Certains ont vu, dans l’annonce de ce renforcement — réel ou formel — du niveau d’alerte des forces stratégiques, une marque de faiblesse du régime, dans un contexte plus difficile que ne s’y attendait Poutine :

• la résistance finalement très déterminée d’une grande partie des Ukrainiens ;
• la naissance d’un « Churchill ukrainien », en la personne du président Volodymyr Zelensky ;
• une levée internationale des boucliers et une opprobre quasi générale contre ce type d’action offensive et destructrice à l’égard d’un pays voisin ;
• des livraisons accélérées d’armes européennes et américaines aux résistants ukrainiens ;
• des sanctions alourdies contre la Russie, qui semblent déjà faire mouche ;
• le réveil de l’Europe et de l’OTAN, avec, pour le coup, une vraie mobilisation militaire occidentale à ses frontières ;
• un réveil de l’opinion contradictoire russe, progressant à mesure que se précisent les conséquences concrètes des sanctions internationales, et qu’elle réalise que ce qui lui est présenté comme une simple « opération » au secours des « frères ukrainiens » tourne à la guerre. (...)

Pour le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre, le temps joue contre Poutine : il est dans une impasse. (...)

Desportes s’étonne surtout du « tonitruant silence des Américains », qui ont été bavards avant l’attaque, tout en assurant qu’eux-mêmes « n’iraient pas » ; mais qui ont à leur manière « appuyé sur le bouton » de l’opération russe, comme le fait remarquer Alain Bauer, autre spécialiste des questions de sécurité.

« La Russie a été maltraitée depuis 1991 », reconnaît de son côté Pierre Conesa, ancien conseiller au ministère français de la défense. « Vladimir Poutine, bien disposé au début, a rendu aux Russes leur dignité après l’effondrement de l’URSS, mais a fini par se crisper ». Il sent que l’OTAN — qui n’a pas été dissoute, contrairement au pacte de Varsovie, et qui n’a cessé de s’étendre (6) - est en train de l’encercler à nouveau ». La solution, selon Conesa ? Une grande conférence sur la sécurité en Europe, pour dessiner une nouvelle architecture de paix ; et donner acte, même partiellement, à certaines des revendications sécuritaires de la Russie. (...)

Réassurance

Sinon, où s’arrêtera Poutine, demandent de nombreux analystes ? Et, où s’arrêtera l’OTAN, si même la Suède, la Finlande la rejoignent, pour ne rien dire de l’Ukraine, de la Bosnie, avant d’autres recrues encore ? Officiellement, l’organisation transatlantique ne se considère pas comme étant « en guerre » avec la Russie, ainsi que le répétait le 27 février Camille Grand, son secrétaire général adjoint, sur France Inter. Elle s’en tient à des « mesures défensives proportionnées », des initiatives dites « de réassurance » pour les pays de l’Alliance se sentant menacés aux frontières de la Russie. (...)

Dès 1946, un an après le lâcher des premières bombes atomiques sur les villes japonaises d’Hiroshima et Nagasaki, les théoriciens américains de la dissuasion commençaient à expliquer que si, jusque-là, on cherchait à gagner la guerre, désormais il faudra l’éviter, ou la préparer pour ne pas avoir à la faire. D’où la notion d’arme de « non-emploi » qui a été jusqu’à ces dernières années la caractéristique de l’armement nucléaire. Durant la guerre froide, on pouvait parler « d’équilibre de la terreur », chacun pariant sur la rationalité d’un adversaire qui ne prendrait pas le risque de subir des dommages inacceptables.

En la matière, beaucoup dépend de la définition de ce qui est considéré par l’agresseur et l’agressé comme des « intérêts vitaux », et aussi de la crédibilité du détenteur de l’arme atomique, de son sang-froid, de sa capacité de discernement. (...)

Au nombre des retombées de ces derniers jours, outre le « revival » de l’OTAN, citons le coup de fouet imprimé aux initiatives dans le domaine de la défense européenne, dont témoigne — entre autres – le spectaculaire effort budgétaire annoncé en Allemagne (100 milliards d’euros), un pays qui pourrait disposer à terme de la première armée du continent. Mais aussi les contorsions de certains des candidats à l’élection présidentielle française, soupçonnés de complaisance passée envers le régime russe et son chef. Et la bonne mine du président sortant, Emmanuel Macron, certes roulé dans la farine comme d’autres par M. Vladimir Poutine, mais qui — après la diplomatie du « petit télégraphiste » — a enfilé les habits de commandant en chef, alors que des soldats français prennent le chemin de la Roumanie, et que l’armée française assure la permanence de la conduite de la force de réaction rapide de l’OTAN. Voilà jusqu’où aura mené, à l’heure où nous publions ces lignes, le « coup de sang » du tsar de Russie.