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Etats-Unis : la nouvelle guerre de religion a commencé
Article mis en ligne le 23 juillet 2018
dernière modification le 22 juillet 2018

Face à la politique nationaliste de Donald Trump et à ses puissants soutiens de la droite évangélique, des petits mouvements d’inspiration religieuse s’unissent et se mobilisent contre l’identitarisme chrétien. Une forme de résistance civique dynamique, explique la politiste Nadia Marzouki

On ne compte plus les déclarations et tweets incendiaires de Donald Trump à propos des musulmans. Le 26 juin, la cour suprême a validé le décret – couramment appelé le Muslim Ban­ – signé par le président interdisant l’entrée sur le territoire aux ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane. D’autres mesures promulguées ces derniers mois ont également inquiété les courants progressistes et libéraux de la société américaine. Alors que le public s’indignait du sort des enfants détenus et séparés de leurs parents, migrants en situation irrégulière, le procureur général Jeff Sessions déclara le 14 juin dans un discours à Fort Wayne que le respect de la loi est un commandement biblique et cita le chapitre 13 de l’Epître de Saint Paul aux Romains (« C’est pourquoi celui qui résiste à l’autorité, résiste à l’ordre que Dieu a établi. »).

Le 4 juin 2018, la cour suprême a conclu l’affaire Masterpiece Cakeshop v Colorado Civil Rights Commission en prenant le parti de Jack Philips, un pâtissier évangélique qui avait refusé de préparer un gâteau pour la cérémonie de mariage d’un couple homosexuel au motif que cela représentait une violation de ses croyances religieuses. L’un des arguments des sept juges (sur neuf) ayant donné raison à Philips est que la commission des droits civils qui avait d’abord jugé l’affaire s’était montrée méprisante à l’égard de la religion.(...)

Des pasteurs de différentes dénominations protestantes, des prêtres et sœurs catholiques, des rabbins, des imams et des leaders religieux hindous et sikhs ont dès 2016 compris l’urgence qu’il y avait à faire barrage aux nationalistes chrétiens en se positionnant sur leur propre terrain. Un groupe de plusieurs centaines de leaders religieux de différentes confessions manifesta dès le 12 août 2017 à Charlottesville, à côté d’activistes antiracistes et antifascistes et de Black Lives Matter, et des églises offrirent immédiatement refuge aux manifestants blessés.

Pour ces leaders religieux et leurs fidèles, l’action civique est un devoir religieux et l’engagement religieux implique de se mettre au service d’autrui. Alors que les nationalistes chrétiens se réfèrent à la religion comme à un marqueur identitaire et territorial permettant de distinguer entre un « eux » et un « nous », ces groupes civiques-œcuméniques parlent de foi, de valeurs partagées, de solidarité et d’amour.(...)

On pourrait encore citer de nombreux mouvements, initiatives ou organisations, qui depuis bien avant l’élection de Trump, ont fait sortir l’idée de dialogue inter-religieux des cercles de théologiens pour lui donner une réalité concrète. Leur action brouille la frontière entre engagement civique et religieux. Ce qui relie toutes ces organisations et initiatives, c’est la conviction que le divin n’est pas attaché à un drapeau, un territoire ou une ethnie, mais qu’il est partout dans le monde séculier.

Ces groupes civiques œcuméniques, à la grande différence des nationalistes religieux et fondamentalistes, ne voient pas dans l’étranger ou le monde séculier une menace existentielle. Leur approche est comparable à celle du théologien Dietrich Bonhoeffer, pour qui Dieu est dans le monde, dans le rapport à autrui, hors des lieux sacrés. Dans « un monde devenu majeur, disait Bonhoeffer, notre relation à Dieu n’est pas une relation ‘religieuse’ (…) mais elle consiste en une nouvelle vie ‘pour les autres’ (1). »

Un phénomène ni marginal, ni ornemental
Ce phénomène, encore peu connu du fait de l’attention démesurée qu’a reçue la droite chrétienne ces dernières décennies, n’est ni marginal ni simplement ornemental. Il trouve des échos important dans le discours de l’establishment religieux et il produit de véritables effets de rupture et de réalignement d’alliances au niveau local(...)

Enfin, le message de solidarité promu par des leaders tels que William Barber n’est pas simplement entendu dans les grandes villes libérales de New York ou Los Angeles. Il est repris par de nombreux pasteurs de petites villes d’Etats conservateurs. (...)

Face à une situation politique que l’intellectuel new-yorkais Adam Shatz décrit comme un « carnage », ces mouvements de résistance civique œcuménique représentent aujourd’hui une des rares lueurs d’espoir pour l’avenir de la politique américaine.