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Étrangers détenus : sur-représentés, sous-protégés
Par Julien Fischmeister de l’Observatoire international des prisons-section française. Dossier sur les étrangers détenus, 1/11.
Article mis en ligne le 19 janvier 2021

Pour les personnes étrangères détenues, la violence du monde carcéral est fréquemment renforcée par d’autres considérations : isolement, éloignement géographique des proches, barrière de la langue, discriminations, pauvreté, etc. Et rien ne semble être mis en œuvre par l’administration pénitentiaire pour atténuer ces difficultés du quotidien. Sur le plan administratif, il est de plus fréquent que l’incarcération vienne fragiliser le droit au séjour en France, voire annihile toute perspective concrète de régularisation.

Des demandes de titres de séjour refusées ou simplement ignorées à un accès à la procédure d’asile quasi inexistant, la prise en compte par les services préfectoraux de la situation des personnes détenues témoigne en effet d’un désintérêt profond. Pire, leurs cas ne sont envisagés que sous le prisme de la suspicion et de la répression par un ministère de l’Intérieur avant tout soucieux de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière. Malgré ce contexte, les étrangers incarcérés ne peuvent guère compter sur le soutien de la société civile, peu présente en détention. Une fois détenu, l’extra-national assiste donc bien souvent, impuissant et isolé, à sa mise au ban progressive. (...)

Un enlisement aux confins de deux droits

Concrètement, le détenu étranger, en tant que sujet de (non-) droit, se retrouve pris en étau aux confins de deux horizons juridiques bien distincts : d’un côté un droit pénitentiaire complexe et dont il peine à se saisir, de l’autre un droit des étrangers qui dévoile une spirale répressive dès le pas de la prison franchi. Et en arrière-plan, deux ministères de tutelle qui poursuivent des objectifs en apparence contradictoires : lorsque l’un est censé favoriser la réinsertion en permettant un retour au corps social, l’autre opère un tri entre les personnes ayant vocation à rester en France et celles devant être expulsées. En réalité, cette double tutelle renforce les contraintes qui pèsent sur les intéressés, sans qu’aucune des deux administrations ne fasse d’efforts pour les alléger. (...)

Face aux pratiques des préfets, qui varient considérablement selon leur sensibilité, l’administration pénitentiaire se retranche derrière son impuissance pour prendre en charge efficacement les personnes étrangères. (...)

il y a un vrai enjeu de pouvoir entre les administrations et le manche penche sérieusement du côté du ministère de l’Intérieur. Ce sont eux qui tiennent les rênes de la situation des étrangers. (...)
Le code de procédure pénale se contente peu ou prou de poser comme principe que « les détenus de nationalité étrangère sont soumis au même régime que les détenus nationaux », et le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) n’aborde le sujet de la détention que sous l’angle de l’expulsion. Un vide juridique sur lequel s’appuie le ministère de l’Intérieur pour encadrer, par une accumulation de textes non contraignants, ce qu’il juge prioritaire. (...)

Cela laisse une marge de manœuvre à l’administration qui est phénoménale, ils font un peu ce qu’ils veulent et peuvent modeler leurs volontés au fur et à mesure du contexte politique ou même médiatique. (...)

la Justice, elle, peine à jouer son rôle. (...)

À maints égards, les personnes étrangères détenues apparaissent donc comme victimes d’un délaissement institutionnel, qui se traduit par une privation de leurs droits : droit de demander ou de renouveler un titre de séjour, droit de solliciter l’asile, droit de contester de façon effective les mesures d’éloignement ou d’expulsion prises à leur encontre. Mais également droit à s’exprimer dans une langue qu’elles comprennent, droit de communiquer avec leurs proches (à un tarif décent), droit de bénéficier d’un aménagement de leur peine au même titre que tout un chacun. Au total, c’est toute une défaillance systémique qui attire des personnes en dehors du droit commun et les ostracise, leur refusant jusqu’à l’existence même d’un corpus juridique véritablement protecteur.

Étranger détenu, étranger fantôme (...)

le Conseil d’État tend à considérer que toute période passée en détention, ou pendant laquelle l’étranger exécute une sanction pénale, quel que soit le régime (semi-liberté, placement extérieur, placement sous surveillance électronique), est déduite de la durée de résidence régulière comme habituelle(1). Un raisonnement qui revient à priver les personnes étrangères du simple droit d’exister juridiquement en prison.

Pourtant, la Cour de justice de l’Union européenne propose de prendre en compte la période passée en détention dès lors que « les liens d’intégration unissant l’intéressé à l’État membre d’accueil n’ont pas été rompus »(2). Et si la cour administrative d’appel de Marseille a récemment jugé que les années passées en prison doivent être comptabilisées dans l’appréciation de la durée de résidence habituelle en France(3), ce positionnement défendant une vision de l’étranger au passé carcéral tournée non pas vers son expulsion mais vers sa réinsertion reste largement marginal.

Un droit à la réinsertion vidé de sa substance (...)

Faute de volonté politique pour proposer un cadre légal davantage protecteur, il est peu probable que cette situation, qui perdure depuis de très nombreuses années, s’améliore dans un futur proche. (...)
les quelques avancées récentes n’ont été rendues possibles que par l’acharnement d’avocats ou d’associations soucieux de forcer l’entrée du droit commun en détention – un droit qui trouve le plus souvent à s’appliquer faute de dispositions législatives contraires. De cette mobilisation dépend le sort d’un public carcéral sur-représenté mais manifestement sous-protégé.