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Entre les lignes, entre les mots
Être un paysan indien aujourd’hui : abattu pour avoir réclamé un allègement de sa dette
Article mis en ligne le 27 août 2017

Un district méconnu du centre de l’Inde est soudainement devenu l’endroit où il faut être vu pour de nombreux politiciens et journalistes de ce vaste pays. Malheureusement, cet intérêt ne s’est finalement éveillé qu’au prix de vies humaines. Les paysans de l’État du Madhya Pradesh ont commencé le 1er juin dernier à réclamer de meilleurs prix pour leurs récoltes et un allègement de leur dette (...)

Les paysans indiens sont désespérés, plus de 300 0001 d’entre eux se sont suicidés en raison du fardeau de la dette. La différence cette fois-ci tient au fait que les paysans, au fil de leurs protestations, sont devenus militants et pour les faire taire, l’administration a imposé un couvre-feu. Incapable de le faire respecter, la police a ouvert le feu sur les manifestants et a tué cinq paysans. Un autre est mort sous les coups de lathi (bâton). À cette barbarie s’ajoute le fait que 45 plaintes ont été déposées contre les paysans en colère, mais aucunes contre les policiers qui ont abattu de sang-froid les six manifestants. Des reportages dans les médias font par ailleurs état d’instructions claires d’utiliser la force maximale contre les protestataires.

Cet incident témoigne du profond malaise qui touche le secteur agricole en Inde. (...)

Les politiques néolibérales adoptées par les gouvernements indiens successifs au cours des deux décennies et demie écoulées ont promu un marché dérégulé à une rapidité sans pareille. L’agriculture a ainsi été envisagée exclusivement comme un commerce, sans égard pour l’agriculture familiale qui s’est elle aussi retrouvée sur le marché. Les conséquences sont terribles : les paysans se sont enlisés dans des dettes colossales et font face à des situations dont les effets se font connaître à de nombreux niveaux.

Un désespoir aigu causé par la chute des prix des produits agricoles (...)

Durant la période qui a suivi la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel (PAS), on a assisté d’une part à une augmentation des coûts et d’autre part à un affaiblissement du retour sur investissement lors de la vente des produits. La crise a commencé à surgir depuis que le gouvernement a prévu d’enterrer les mesures qu’il avait mises en place de 1947 aux années 1992-93 pour préserver les paysans indiens des fluctuations du marché. Ce détricotage a été réalisé sans laisser le temps à ces derniers de s’y adapter. (...)

les statistiques relatives au nombre de suicides ne rendent pas compte de l’énormité du problème, des catégories entières de paysans n’ayant aucune existence administrative faute de titre de propriété. C’est principalement le cas des femmes, des dalits et des personnes indigènes. (...)

Le Centre pour les droits humains et la justice mondiale constate dans son rapport que « par suite des réformes économiques, les producteurs de coton indiens ont été jetés dans la compétition du marché international, ce qui les a rendus très vulnérables à la volatilité des prix ». Alors que de nouvelles politiques économiques ont fait entrer l’Inde sur le marché international, « la dévaluation de la roupie indienne a fait baisser les prix et augmenter la demande pour les produits agricoles indiens. Pour capitaliser sur cette source potentielle de revenus, le gouvernement indien a pressé les paysans de passer à des cultures de rente et l’Inde a rapidement réorienté son secteur agricole vers l’exportation. Les cultures commerciales, comme le coton, peuvent générer des gains à court terme, mais sont en définitive soumises à de très hauts niveaux de volatilité des prix. Cette soudaine réorientation vers des cultures marchandes a conduit à une inondation du marché mondial par les exportations de coton puis par une dépréciation du prix du coton pour les paysans », et « en dépit de ces problèmes, le gouvernement indien a continué d’encourager les paysans à passer à des cultures de rente ». Bien que l’Inde soit actuellement l’un des plus gros producteurs et exportateurs de coton, ce marché, comme celui de beaucoup de produits de base, est dominé par un petit groupe de multinationales qui exercent un contrôle croissant sur les prix, la qualité et la disponibilité des intrants agricoles. En outre, sur un marché du coton où ce sont les intermédiaires qui acheminent les produits agricoles vers le marché mondial, même les paysans dont les rendements sont importants ne profitent pas des prix parfois élevés que leurs produits atteignent sur le marché. Il est enfin important de garder à l’esprit que l’accent mis ici sur le coton vise à mettre en lumière les problèmes généraux que connaissent les paysans indiens pour toutes les cultures commerciales, pour lesquelles « les mauvais rendements des investissements agricoles » ont conduit à « une commercialisation prédatrice des terres agricoles »7.

En guise de conclusion

Il est grand temps que le gouvernement adopte une politique agricole nationale exhaustive qui mette fin à la commercialisation de l’agriculture. (...)

L’accès des paysans aux crédits des institutions publiques doit être une priorité, y compris pour les femmes, les dalits, les personnes indigènes, qu’ils soient titulaires d’un titre de propriété ou non. Le droit à l’eau, notamment pour l’irrigation, qui demeure une question vitale. Ces mesures, associées à d’autres mécanismes de protection sociale, pourraient constituer la seule manière de sortir de cet endettement insurmontable qui ronge dangereusement la paysannerie indienne.