
Emmanuel Macron n’entend pas endosser seul la responsabilité de la contamination du débat public par l’extrême droite. Pendant cinq ans, le président sortant a pourtant largement contribué à installer un nouveau face-à-face avec Marine Le Pen.
(...) Dans une campagne présidentielle frappée par l’atonie, le chef de l’État appelle à la « mobilisation générale ». « Il nous faut ensemble relever le défi du combat », a-t-il affirmé à une semaine du scrutin, demandant à « toutes celles et ceux, de la social-démocratie au gaullisme, en passant par les écologistes » à le rejoindre pour lutter contre « le repli » et « les nationalistes ». « Ne les sifflez pas, combattez-les par les idées avec respect ! », a-t-il lancé à ses soutiens réunis à La Défense Arena (Hauts-de-Seine). (...)
En 2017, six jours avant le second tour de l’élection présidentielle, le candidat d’En Marche ! avait tenu exactement le même discours lors d’un meeting parisien, dénonçant le « projet de repli » et « du nationalisme » de Marine Le Pen et demandant à ses troupes, déjà, ne pas siffler son adversaire d’extrême droite. Que s’est-il passé, en cinq ans, pour que le même homme répète les mêmes arguments, lui qui avait assuré, au soir de son élection, vouloir tout faire pour que plus personne n’ait « aucune raison de voter pour les extrêmes » ? La première réponse à cette question est simple : rien. (...)
Fort d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a rapidement oublié les questions de « blanc-seing » pour balayer les critiques. « Je suis là pour transformer la France et je continuerai au même rythme et avec la même détermination », indiquait-il dès octobre 2017, alors qu’il modifiait le Code du travail par ordonnances, usant d’une formule qu’il répètera ensuite tout au long de son quinquennat : « Je fais ce que j’ai dit ! » devenue en 2020 « J’ai fait ce que j’avais dit que je ferais ». (...)
La banalisation de l’extrême droite
Face au « tandem » formé par Marine Le Pen et Éric Zemmour, Emmanuel Macron a tracé une ligne franche dans les derniers jours de sa campagne. « Je les combats avec force, mais je ne les banalise pas, a-t-il affirmé le 31 mars, en marge d’un déplacement à Fouras (Charente-Maritime). Collectivement, le monde politico-médiatique a changé. Il y a vingt ans, les médias disaient : “c’est terrible, front républicain, etc.” ; et les forces républicaines disaient “jamais”. Il n’y a plus cette réaction, elle n’est plus là. […] Moi, je n’ai jamais banalisé le Front national. »
Quoi qu’il en dise, le président sortant et une partie de son écosystème ont largement contribué à légitimer les discours de l’extrême droite, le plus souvent par pure stratégie – pour ne pas dire cynisme – politique. Pendant longtemps, le chef de l’État a mis en scène sa proximité avec Philippe de Villiers, qui prône depuis des années un rapprochement avec Marion Maréchal et soutient aujourd’hui Éric Zemmour ; il a flatté le maire de Béziers (Hérault) Robert Ménard et manié la triangulation comme d’autres jouent avec des allumettes. (...)
Dans l’espoir de bloquer le créneau de l’« antisystème », il a soigné comme jamais sa démagogie, choisissant d’écouter certaines « colères » plutôt que d’autres et donnant ainsi une curieuse couleur politique à son quinquennat. Un coup de fil de 45 minutes avec Éric Zemmour se concluant sur une demande de « note » sur l’immigration ; des textos avec l’animateur de CNews Pascal Praud ; des clins d’œil à l’écrivain Michel Houellebecq ; un entretien-fleuve accordé à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles pour parler islam et identité…
Emmanuel Macron a aussi laissé certains de ses ministres alimenter des débats sans fin sur « l’islamo-gauchisme », juger Marine Le Pen « trop molle », recycler son vocabulaire et sauter sur la moindre polémique lancée par la fachosphère dès lors qu’elle concernait les musulman·es. Avec le sourire, les mêmes se sont mis à défendre des « valeurs » qui n’avaient plus rien à envier à la droite la plus extrême, derrière laquelle la majorité présidentielle a désespérément couru, incapable de proposer un imaginaire qui ne sente pas le renfermé.
Le virage régalien
Au-delà de la com’ et du bruit des réseaux sociaux, c’est sur le terrain des idées qu’Emmanuel Macron a fini par foncer à droite toute. (...)
Depuis lors, le chef de l’État a tout fait pour déplacer les revendications sociales vers les sujets pudiquement qualifiés de « régaliens ». Comme Nicolas Sarkozy avant lui, il a tenté, dès l’automne 2019, de mettre l’accent sur l’immigration, en réclamant un débat parlementaire annuel, dont la première et finalement seule édition avait plongé son gouvernement dans l’embarras. L’immigration ayant été reléguée au rang des « préoccupations minoritaires » des Français·es lors du « grand débat », personne n’avait franchement compris cet empressement. (...)
Plus le quinquennat avançait, plus l’échéance de 2022 approchait, plus Emmanuel Macron sombrait dans les mêmes travers que son prédécesseur, recyclant aussi bien ses hommes que ses idées et sa stratégie perdante. (...)
niant aveuglément l’existence de violences policières et allant même jusqu’à envoyer le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin manifester sous les fenêtres de l’Assemblée aux côtés des syndicats policiers.
Les derniers mois du quinquennat ont aussi été consacrés à la lutte contre le « séparatisme », avec un texte débattu quelques semaines seulement après le projet de loi « sécurité globale », qui avait déjà largement inquiété les défenseurs des libertés publiques. (...)
En désignant Marine Le Pen comme son unique adversaire et en faisant siens ses sujets, le président sortant a contribué à maintenir l’extrême droite au centre de l’échiquier politique et à l’installer comme une alternative en cas de crise du pouvoir. (...)
Sous couvert de rassemblement, bon nombre de macronistes ont écarté tous les contre-pouvoirs. (...)
Pendant cinq ans, la moindre critique a été perçue comme une défiance à l’égard d’un pouvoir sûr de son fait et assumant sa verticalité. Cette méthode de la terre brulée a permis au chef de l’État d’élargir sa « grande coalition » et d’attirer à lui la sphère de celles et ceux qu’il qualifiait de « laïcistes » il y a cinq ans à peine. À La Défense Arena, Manuel Valls et Éric Woerth ont ainsi partagé une ola et un clapping. Mais les risques de rupture avec le reste de la société n’ont jamais été aussi grands.